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foret avec les sauvages Abenakis, ne revenant souvent qu'au printemps
avec une ample provision du fourrures, dont il trouvait toujours chez
M. St.-Aubin un prompt et avantageux debit, Malgre ses defauts, Jean
Renousse etait loin d'etre deteste, par les braves gens de la colonie;
car, a plusieurs d'entr'eux, il avait rendu d'importants services.
Souvent, lorsqu'une forte brise surprenait, au large, quelque berge
attardee, qu'une femme eploree, que des enfants en pleurs venaient
demander des nouvelles d'un pere, d'un mari ou d'un frere, a ceux qui
arrivaient, que les pecheurs hochaient tristement la tete, que les
voisines essuyaient des larmes, qu'elles ne pouvaient dissimuler, et
leur adressaient des consolations, on voyait Jean Renousse s'elancer
dans une berge, et, malgre le vent et la tempete, s'exposer seul, pour
aller porter secours au frele batiment desempare; souvent, grace a son
sublime devouement et a son habilete a conduire une embarcation, plus
d'un pecheur avait a le remercier d'avoir revu sa pauvre chaumiere!
Parmi ceux, surtout, qui lui portaient un interet tout particulier,
etait Madame St.-Aubin. Elle avait reconnu, en plusieurs occasions, que
sous cette ecorce rude et inculte, dans ses yeux noirs et vifs, dans
ses pommettes de joues saillantes, il y avait plus de coeur et
d'intelligence qu'un oeil peu observateur n'en pouvait d'abord
soupconner. Jamais il ne se presentait a la demeure du bourgeois, comme
on appelait M. St.-Aubin, sans en recevoir quelques secours; et, maintes
fois, il leur avait prouve, qu'un l'obligeant on n'avait pas rendu
service a un ingrat. Son attachement pour l'enfant etait excessif:
c'etait avec plaisir qu'il s'astreignait a un travail minutieux pour lui
confectionner des jouets, et satisfaire ses moindres caprices enfantins.
Bien des fois on l'avait confiee a ses soins, et c'etait toujours avec
une tendre sollicitude qu'il veillait sur elle. A la verite il n'etait
pas facile de faire de la peine impunement a la petite Hermine,
lorsqu'elle etait sous sa garde, ainsi que sous celle du magnifique
terre-neuve qu'on appelait Phedor.
III
C'est quelquefois au moment ou l'on s'estime heureux que l'infortune
vient nous frapper. Tandis que la famille St.-Aubin jouissait
paisiblement des fruits d'une vie vertueuse et exempte d'ambition;
heureuse autant du bonheur des autres que du sien propre, de graves
evenements se preparaient contre les malheureux Acadiens, dans l'ancien
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