Ce navrant spectacle leur apprit a tous que les vandales
etaient a leur oeuvre de pillage et de destruction. Longtemps elle
contempla les cendres brulantes de sa pauvre demeure qui s'elevaient et
retombaient tour-a-tour comme font chacune de nos illusions du jeune
age. Elle jeta un coup-d'oeil en arriere, vers les jours heureux qu'elle
avait passes sous ce toit fortune, vers les objets si chers qu'elle y
rencontrait a chaque instant, vers les personnes qui l'entouraient et
les autres qui, apres etre venues lui demander des consolations et des
secours, s'en retournaient en lui offrant des larmes de gratitude et de
benedictions: mais sa pensee se reporta surtout sur la main bien-aimee
qui apres Dieu lui avait fait ce bonheur si tot passe. Helas! elle
n'etait plus aupres d'elle pour la soutenir et la proteger avec son
enfant, cette main tant aimee et tant regrettee! Reverrait-elle jamais
celui auquel elle adressait chaque jour une pensee, un souvenir, une
larme! Et lorsque la derniere flamme vint jeter une lueur vacillant
et disparaitre pour toujours, elle comprit alors qu'une barriere
insurmontable venait de s'abaisser entre elle et son passe. Il ne
lui restait plus desormais que l'avenir, mais quel avenir? L'hiver
s'approchant avec son nombreux cortege de froid, de privations et de
miseres; nul asile pour la recevoir, a charge aux pauvres gens qui
n'avaient pas meme de quoi se nourrir, qu'allait-elle devenir? Accablee
sous le poids de tant de malheurs elle sentait le desespoir la gagner,
lorsque tombant a genoux, elle s'ecria: "Mon Dieu, mon Dieu, vous etes
maintenant notre seul et unique espoir. Ce n'est pas en vain que la
veuve et l'orphelin vous implorent, ayez pitie de nous." Cette courte
mais fervente priere fut immediatement exaucee. En relevant la tete,
elle apercut, a quelques pas d'elle, la figure bienveillante et amicale
de Jean Renousse qui, n'osant dire un mot, paraissait attendre ses
ordres: "Jean, lui dit-elle, en lui remettant son enfant dans ses bras
prends soin de cette pauvre petite, veilles sur elle, c'est en toi seul,
apres Dieu, en qui nous devons nous confier. Peut-etre ne pourrai-je
jamais recompenser dignement ton genereux devouement pour nous jusqu'a
ce jour, mais compte sur une reconnaissance qui ne s'eteindra qu'avec ma
vie." "Madame lui repondit celui-ci, d'une voix emue et avec noblesse.
Dieu m'est temoin que si j'ai tache de vous etre utile jusqu'ici ce
n'est pas dans l'espoir d'une recompense
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