le ciel de plus en plus sombre presentait un immense chaos de nuages
qui se heurtaient, s'entre dechiraient et se culbutaient. La mer ecumait
de vagues furieuses, l'horizon se retrecissant a chaque instant, mais
par-dessus tout les tenebres qui deja les enveloppaient. Qu'allaient
donc devenir les pauvres emigrants.
Ordre fut donne de fermer toutes les ecoutilles et de mettre a la cape.
Plusieurs fois deja une mer furieuse etait venue retomber sur le pont.
Les matelots etaient attaches pour n'etre pas emportes. Le Capitaine
lui-meme, pale de terreur, avait pris toutes les precautions necessaires
pour sauver sa vie dans un cas de sinistre.
Blottie dans son etroite cabine, pressant avec transport son enfant dans
ses bras. Madame St.-Aubin, mourante de frayeur plutot pour les les
dangers que courait son enfant que pour elle-meme, adressait au ciel
de ferventes prieres, le suppliant de conserver la vie a la pauvre
orpheline. Oh! combien elles dures et ameres, les heures de cette
terrible nuit, combien elle durent etre tristes et desesperantes
les pensees de la pauvre femme privee de tout secours, au milieu
d'etrangers, dans les horreurs de la tempete.
Elle etait au milieu de ses reflexions, peut-etre, lorsque l'ouragan
redoublant de force et de violence imprima au vaisseau une terrible
secousse; les mats craquerent, un d'eux se rompit... le navire venait de
toucher un ecueil. D'immenses cris de terreur et de desespoir sortirent
de la cale. Ils etaient pousses par les emigrants; c'etait une voie
d'eau qui venait de se declarer. Une voie d'eau, une voie d'eau! Qui
peut comprendre ce qu'il y a dans ces mots d'avenir et de passe:
D'avenir pour celui qui aspire a de longs et d'heureux jours; de passe,
pour celui qui regrette et qui pleure.
La mer roulait avec fracas sur les rochers qui se trouvaient a une bien
petite distance. Le capitaine avait ordonne de faire jouer les pompes,
mais les vagues avaient emporte les quelques matelots qui avaient voulu
se mettre a la besogne. Les masses d'eau avaient couche le vaisseau sur
son flanc. Il n'y avait plus d'autre moyen, le Capitaine avait fait
jeter les chaloupes et avait saute dans la meilleure avec ses
matelots. Cette lache et infame conduite lui fut funeste, car a peine
s'etaient-ils eloignes de quelques pieds du vaisseau naufrage, que
l'embarcation qu'ils montaient chavira.
Cependant le temps s'etait un peu eclairci, on commencait a entrevoir
une petite lueur vers l'auror
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