u quai d'amples provisions
de charbon et de coton, d'autres, les riches soieries et les magnifiques
produits de l'Orient. Tout le monde est a l'oeuvre. Partout il y a joie,
car il y a gain pour tous.
Mais d'ou vient donc cette foule d'hommes en haillons, ces femmes
amaigries et presque nues, ces pauvres enfants si freles, si chetifs,
qui occupent un tout petit espace du quai? D'ou viennent ces pleurs et
ces gemissements a fendre l'ame? Ces embrassements pleins de regrets et
de tendresse? Ah! c'est qu'un pere vient peut-etre pour la derniere fois
de presser dans ses bras ses enfants bien-aimes! C'est que des amis
viennent de dire un adieu peut-etre eternel aux compagnons de leur
enfance! C'est que, pour la derniere fois, on a jete un regard de
douleur sur la vieille chaumiere qui nous a vus naitre! C'est que, dans
un dernier embrassement, nous avons echange avec les amis emus, une
derniere poignee de mains, que pour toujours, nous avons salue les cotes
de l'Irlande, dont aucun de ses enfants ne peut parler sans verser une
larme de regret! Et ces malles, et ces paquets, que contiennent-ils,
sinon les pauvres vetements des malheureux Irlandais. Mais dans le
navire qui est en partance, que de cris joyeux. A peine entend-on
l'ordre du contremaitre: "Embarque, embarque;" voila le mot qui se fait
entendre.
Inutile de le dire, nous le voyons deja que trop, ce batiment est charge
d'emigrants pour l'Amerique. Voyez sur le gaillard d'arriere cet homme a
la figure replete et trapue, comme il savoure avec delices les bouffees
de tabac qui s'echappent de sa longue pipe d'ecume de mer; quels regards
distraits il jette sur la gazette qu'il lient entre ses mains; comme les
nouvelles sont loin de l'absorber; il hoche dedaigneusement la tete en
voyant les pleurs des malheureux enfants de la verte Erin. Dans le fond
que sont-ils pour lui? Des Irlandais catholiques, il est protestant. Que
lui importe donc si la plus grande partie d'eux n'atteint pas les cotes
de l'Amerique? Que lui importe si l'espace qu'il leur a destinee dans
son vaisseau n'est pas suffisant? Que lui importe si les aliments dont
il a fait provision ne peuvent suffire a une moitie de ceux qu'il
entasse a son bord? Sa bourse n'est-elle pas bien remplie, et si le
typhus, le cholera ou mille autres maladies viennent les decimer,
n'a-t-il pas devant lui un immense cimetiere; comme bien d'autres qui
l'ont suivi, il peut dire a chacune de ces victimes qu'on jette dans
l'Atla
|