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t un jeune homme beau et enthousiasme d'elle qu'elle allait
cherchant dans les lieux deserts, pour le voir et se trouver seule avec
lui; c'etait un noble infortune qu'elle s'imaginait pouvoir sauver ou
tout au moins calmer par la purete de son zele. Elle eut cherche de meme
un venerable ermite malade pour le soigner, ou un enfant perdu pour le
ramener a sa mere. Elle etait un enfant elle-meme, et cependant il y
avait en elle une revelation de l'amour maternel; il y avait une foi
naive, une charite brulante, une bravoure exaltee.
Elle revait et entreprenait ce pelerinage, comme Jeanne d'Arc avait reve
et entrepris la delivrance de sa patrie. Il ne lui venait pas seulement
a l'esprit qu'on put railler ou blamer sa resolution; elle ne concevait
pas qu'Amelie, guidee par la voix du sang, et, dans le principe, par les
esperances de l'amour, n'eut pas concu le meme projet, et qu'elle n'eut
pas reussi a l'executer. Elle marchait avec rapidite; aucun obstacle ne
l'arretait. Le silence de ces grands bois ne portait plus la tristesse
ni l'epouvante dans son ame. Elle voyait la piste des loups sur le
sable, et ne s'inquietait pas de rencontrer leur troupe affamee. Il lui
semblait qu'elle etait poussee par une main divine qui la rendait
invulnerable. Elle qui savait le Tasse par coeur, pour l'avoir chante
toutes les nuits sur les lagunes, elle s'imaginait marcher a l'abri de
son talisman, comme le genereux Ubalde a la reconnaissance de Renaud a
travers les embuches de la foret enchantee. Elle marchait svelte et
legere, parmi les ronces et les rochers, le front rayonnant d'une
secrete fierte, et les joues colorees d'une legere rougeur. Jamais elle
n'avait ete plus belle a la scene dans les roles heroiques; et pourtant
elle ne pensait pas plus a la scene en cet instant qu'elle n'avait pense
a elle-meme en montant sur le theatre.
De temps en temps elle s'arretait reveuse et recueillie.
"Et si je venais a le rencontrer tout a coup, se disait-elle, que lui
dirais-je qui put le convaincre et le tranquilliser? Je ne sais rien de
ces choses mysterieuses et profondes qui l'agitent. Je les comprends a
travers un voile de poesie qu'on a a peine souleve devant mes yeux,
eblouis de visions si nouvelles. Il faudrait avoir plus que le zele et
la charite, il faudrait avoir la science et l'eloquence pour trouver des
paroles dignes d'etre ecoutees par un homme si superieur a moi, par un
fou si sage aupres de tous les etres raisonnables au milieu
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