ion que le Jardin des
Plantes n'etait autre chose que le Paradis terrestre un peu vieilli,
mais, en somme, pas beaucoup change. De cela, je doutais encore moins
que du reste; j'avais des preuves. J'avais vu le Paradis terrestre dans
ma Bible, et ma mere m'avait dit: "Le Paradis terrestre etait un jardin
tres agreable, avec de beaux arbres et tous les animaux de la creation."
Or, le Jardin des Plantes, c'etait tout a fait le Paradis terrestre de
ma Bible et de ma mere, seulement, on avait mis des grillages autour es
betes, par suite du progres des arts et a cause de l'innocence perdue.
Et l'Ange qui tenait l'epee flamboyante avait ete remplace, a l'entree,
par un soldat en pantalon rouge.
Je me flattais d'avoir fait la une decouverte assez importante. Je la
tenais secrete. Je ne la confiai pas meme a mon pere, que j'interrogeais
pourtant a toute minute sur l'origine, les causes et les fins des choses
tant visibles qu'invisibles. Mais sur l'identification du Paradis
terrestre au Jardin des Plantes, j'etais muet.
Il y avait plusieurs raisons a mon silence. D'abord, a cinq ans, on
eprouve de grandes difficultes a expliquer certaines choses. C'est la
faute des grandes personnes, qui comprennent tres mal ce que veulent
dire les petits enfants. Puis j'etais content de posseder seul la
verite. J'en prenais avantage sur le monde. J'avais aussi le sentiment
que si j'en disais quelque chose, on se moquerait de moi, on rirait, et
que ma belle idee en serait detruite, ce dont j'eusse ete tres fache.
Disons tout, je sentais, d'instinct, qu'elle etait fragile. Et peut-etre
meme que, au fond de l'ame et dans le secret de ma conscience obscure,
je la jugeais hardie, temeraire, fallacieuse et coupable. Cela est tres
complexe. Mais on ne saurait imaginer toutes les complications de la
pensee dans une tete de cinq ans.
Nos promenades au Jardin des Plantes, c'est le dernier souvenir que
j'aie garde de ma bonne Nanette qui etait si vieille quand j'etais si
jeune, et si petite quand j'etais si petit. Je n'avais pas encore six
ans accomplis, lorsqu'elle nous quitta a regret et regrettee de mes
parents et de moi. Elle ne nous quitta pas pour mourir, mais je ne sais
pourquoi, pour aller je ne sais ou. Elle disparut ainsi de ma vie, comme
on dit que les fees, dans les campagnes, apres avoir pris l'apparence
d'une bonne vieille pour converser avec les hommes, s'evanouissent dans
l'air.
II
LE MARCHAND DE LUNETTES.
En ce temps-
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