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longue branche qui etayait l'aumuche du cote ou
les saules manquaient, et la prenant, elle s'en servit pour sauter
le fosse a la perche, ce qui pour elle, habituee a cet exercice
qu'elle avait pratique bien souvent, fut un jeu. Peut-etre etait-
ce la une facon peu noble de sortir de son royaume, mais comme
personne ne l'avait vue, au fond cela importait peu; d'ailleurs
les jeunes reines doivent pouvoir se permettre des choses qui sont
interdites aux vieilles.
Apres avoir cache sa perche dans l'herbe de l'oseraie pour la
retrouver quand elle voudrait rentrer le soir, elle partit et
arriva a l'usine une des premieres. Alors, en attendant, elle vit
des groupes se former et discuter avec une animation qu'elle
n'avait pas remarquee la veille. Que se passait-il donc?
Quelques mots qu'elle entendit au hasard le lui apprirent:
"Pove fille!
-- On y a cope le de.
-- L'petiot de?
-- L'petiot.
-- Et l'ote?
-- On y a pas cope.
-- All a criai?
-- C'tait des beuglements a faire pleurer ceux qui l'y
entendaient."
Perrine n'avait pas besoin de demander a. qui on avait coupe le
doigt; et apres le premier saisissement de la surprise, son coeur
se serra: sans doute elle ne la connaissait que depuis deux jours,
mais celle qui l'avait accueillie a son arrivee, qui l'avait
guidee, l'avait traitee en camarade, c'etait cette pauvre fille
qui venait de si cruellement souffrir et qui allait rester
estropiee.
Elle reflechissait desolee, quand, en levant les yeux
machinalement, elle vit venir Bendit; alors, se levant, elle alla
a lui, sans bien savoir ce qu'elle faisait et sans se rendre
compte de la liberte qu'elle prenait, dans son humble position,
d'adresser la parole a un personnage de cette importance, qui de
plus etait Anglais.
"Monsieur, dit-elle en anglais, voulez-vous me permettre de vous
demander, si vous le savez, comment va Rosalie?"
Chose extraordinaire, il daigna abaisser les yeux sur elle et lui
repondre:
"J'ai vu sa grand'mere, ce matin, qui m'a dit qu'elle avait bien
dormi.
-- Ah! monsieur, je vous remercie."
Mais Bendit, qui de sa vie n'avait jamais remercie personne, ne
sentit pas tout ce qu'il y avait d'emotion et de cordiale
reconnaissance dans l'accent de ces quelques mots.
"Je suis bien aise", dit-il en continuant son chemin.
Pendant toute la matinee elle ne pensa qu'a Rosalie, et elle put
d'autant plus librement suivre sa vision que deja elle etait faite
a son travail qui n'
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