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-- Ce n'est pas trop court qu'est le temps pour moi, depuis que je
ne peux plus l'employer comme je voudrais, c'est long, bien
long... et vide."
Elle vit passer sur le visage de M. Vulfran un nuage sombre qui
accusait les tristesses d'une existence que l'on croyait si
heureuse et que tant de gens enviaient, et a la facon dont il
prononca le mot "vide" elle eut le coeur attendri. Elle aussi
depuis qu'elle avait perdu son pere et sa mere, pour rester seule,
savait ce que sont les journees longues et vides, que rien ne
remplit si ce n'est les soucis, les fatigues et les miseres de
l'heure presente, sans personne avec qui les partager, qui vous
soutienne ou vous egaie. Lui ne connaissait ni fatigues, ni
privations, ni miseres. Mais sont-elles tout au monde, et n'est-il
pas d'autres souffrances, d'autres douleurs! C'etaient celles-la
que traduisaient ces quelques mots, leur accent, et aussi cette
tete penchee, ces levres, ces joues affaissees, cette physionomie
allongee par l'evocation sans doute de souvenirs penibles.
Si elle essayait de le distraire? sans doute cela etait bien hardi
a elle qui le connaissait si peu. Mais pourquoi ne risquerait-elle
point, puisque lui-meme demandait qu'elle parlat, d'egayer ce
sombre visage et de le faire sourire? Elle pouvait l'examiner,
elle verrait bien si elle l'amusait ou l'ennuyait.
Et tout de suite d'une voix enjouee, qui avait l'entrain d'une
chanson, elle commenca:
"Ce qui est plus drole que notre diner, c'est la facon dont je me
suis procure les ustensiles de cuisine pour le faire cuire, et
aussi comment, sans rien depenser, ce qui m'eut ete impossible,
j'ai reuni les mets de notre menu. C'est cela que je vais vous
dire, en commencant par le commencement qui expliquera comment
j'ai vecu dans l'aumuche depuis que je m'y suis installee.
Pendant son recit elle ne quitta pas M. Vulfran des yeux, prete a
couper court, si elle voyait se produire des signes d'ennui, qui
certainement ne lui echapperaient pas.
Mais ce ne fut pas de l'ennui qui se manifesta, au contraire ce
fut de la curiosite et de l'interet.
"Tu as fait cela"!" interrompit-il plusieurs fois.
Alors il l'interrogea pour qu'elle precisat ce que, par crainte de
le fatiguer, elle avait abrege, et lui posa des questions qui
montraient qu'il voulait se rendre un compte exact non seulement
de son travail, mais surtout des moyens qu'elle avait employes
pour remplacer ce qui lui manquait:
"Tu as fait
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