e facon a s'admirer dans son travail, au moins
assez bien pour ne pas le recommencer. Mais ou les difficultes et
les responsabilites se presenterent, ce fut au moment de tailler
les ouvertures pour la tete et les bras, ce qui, avec son couteau
et le billot, pour seuls outils, lui paraissait si grave, que ce
ne fut pas sans trembler un peu qu'elle se risqua a entamer
l'etoffe. Enfin, elle en vint a bout, et le mardi matin elle put
s'en aller a l'atelier habillee d'une chemise gagnee par son
travail, taillee et cousue de ses mains.
Ce jour-la, quand elle se presenta chez mere Francoise, ce fut
Rosalie qui vint au-devant d'elle le bras en echarpe.
"Guerie!
-- Non, seulement on me permet de me lever et de sortir dans la
cour."
Tout a la joie de la voir, Perrine continua de la questionner,
mais Rosalie ne repondait que d'une facon contrainte.
Qu'avait-elle donc?
A la fin elle lacha une question qui eclaira Perrine:
"Ou donc logez-vous maintenant?"
N'osant pas repondre, Perrine se jeta a cote:
"C'etait trop cher pour moi, il ne me restait rien pour ma
nourriture et mon entretien.
-- Est-ce que vous avez trouve a meilleur prix autre part?
-- Je ne paye pas.
-- Ah!"
Elle resta un moment arretee, puis la curiosite l'emporta.
"Chez qui?"
Cette fois Perrine ne put pas se derober a cette question directe:
"Je vous dirai cela plus tard.
-- Quand vous voudrez; seulement vous savez, lorsqu'en passant
vous verrez tante Zenobie dans la cour ou sur la porte il vaudra
mieux ne pas entrer: elle vous en veut; venez le soir plutot, a
cette heure-la elle est occupee."
Perrine rentra a l'atelier attristee de cet accueil; en quoi donc
etait-elle coupable de ne pas pouvoir continuer a habiter la
chambree de mere Francoise?
Toute la journee elle resta sous cette impression, qui revint plus
forte quand le soir elle se trouva seule dans l'aumuche, n'ayant
rien a faire pour la premiere fois depuis huit jours. Alors, afin
de la secouer, elle eut l'idee de se promener dans les prairies
qui entouraient son ile, ce qu'elle n'avait pas encore eu le temps
de faire. La soiree etait d'une beaute radieuse, non pas
eblouissante comme elle se rappelait celles de ses annees
d'enfance dans son pays natal, ni brulante sous un ciel d'indigo,
mais tiede, et d'une clarte tamisee qui montrait les cimes des
arbres baignees dans une vapeur d'or pale: les foins, qui
n'etaient pas encore murs, mais dont les plantes defleuris
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