n que de colere dans ce cri, car
ceux qui le proferaient pensaient que ce qui venait d'arriver a
cette fille, pouvait les frapper le lendemain ou a l'instant meme
dans les leurs, mari, pere, enfants: tout le monde a Maraucourt ne
vivait-il pas de l'usine?
Malgre ces arrets, elles approchaient de la maison de mere
Francoise, dont deja la barriere grise se montrait au bout du
chemin.
"Vous allez entrer avec moi, dit Rosalie.
-- Je veux bien.
-- Ca retiendra peut-etre tante Zenobie."
Mais la presence de Perrine ne retint pas du tout la terrible
tante qui, en voyant Rosalie arriver a une heure insolite, et en
apercevant sa main enveloppee, poussa les hauts cris:
"Te v'la blessee, coquine! Je parie que tu l'as fait expres.
-- Je serai payee, repliqua Rosalie rageusement.
-- Tu crois ca?
-- M. Vulfran me l'a dit."
Mais cela ne calma pas tante Zenobie, qui continua de crier si
fort que mere Francoise, quittant son comptoir, vint sur le seuil;
mais ce ne fut pas par des paroles de colere qu'elle accueillit sa
petite-fille: courant a elle, elle la prit dans ses bras:
"Tu es blessee? s'ecria-t-elle.
-- Un peu, grand'maman, aux doigts; ce n'est rien.
-- Il faut aller chercher M. Ruchon.
-- M. Vulfran l'a fait prevenir."
Perrine se disposait a les suivre dans la maison, mais tante
Zenobie se retournant sur elle l'arreta:
"Croyez-vous que nous avons besoin de vous pour la soigner?
-- Merci", cria Rosalie.
Perrine n'avait plus qu'a retourner a l'atelier, ce qu'elle fit;
mais au moment ou elle allait arriver a la grille des shedes, un
long coup de sifflet annonca la sortie.
XVIII
Dix fois, vingt fois pendant la journee, elle s'etait demande
comment elle pourrait bien ne pas coucher dans la chambree ou elle
avait failli etouffer, ou elle avait peu dormi.
Certainement elle y etoufferait tout autant la nuit suivante et
elle ne dormirait pas mieux. Alors, si elle ne trouvait pas dans
un bon repos a reparer l'epuisement de la fatigue du jour,
qu'arriverait-il?
C'etait une question terrible dont elle pesait toutes les
consequences; qu'elle n'eut pas la force de travailler, on la
renvoyait et c'en etait fini de ses esperances; qu'elle devint
malade, on la renvoyait encore mieux, et elle n'avait personne a
qui demander soins et secours: le pied d'un arbre dans un bois,
c'etait ce qui l'attendait, cela et rien autre chose.
Il est vrai qu'elle avait bien le droit de ne plus occuper le li
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