lle en etat d'accomplir ce
travail, en aurait-elle la force, l'intelligence? fallait-il un
apprentissage? toutes questions terribles pour elle, et qui
l'angoissaient d'autant plus que maintenant qu'elle se voyait
admise dans l'usine, elle sentait qu'il dependait d'elle de s'y
maintenir.
"N'ayez donc pas peur, repondit Rosalie qui avait compris son
emotion; rien n'est plus facile."
Perrine devina le sens de ces paroles plutot qu'elle ne les
entendit; car, depuis quelques, instants deja, les machines, les
metiers s'etaient mis en marche dans l'usine, morte lorsqu'elle y
etait entree, et maintenant un formidable mugissement, dans lequel
se confondaient mille bruits divers, emplissait les cours; aux
ateliers, les metiers a tisser battaient, les navettes couraient,
les broches, les bobines tournaient, tandis que dehors les arbres
de transmission, les roues, les courroies, les volants, ajoutaient
le vertige des oreilles a celui des yeux.
"Voulez-vous parler plus fort? dit Perrine, je ne vous entends
pas.
-- L'habitude vous viendra, cria Rosalie, je vous disais que ce
n'est pas difficile; il n'y a qu'a charger les cannettes sur les
wagonets; savez-vous ce que c'est qu'un wagonet?
-- Un petit wagon, je pense.
-- Justement, et quand le wagonet est plein, a le pousser jusqu'au
tissage ou on le decharge; un bon coup au depart, et ca roule tout
seul.
-- Et une cannette, qu'est-ce que c'est au juste?
-- Vous ne savez pas ce que c'est qu'une cannette? oh! Puisque je
vous ai dit hier que les cannetieres etaient des machines a
preparer le fil pour les navettes; vous devez bien voir ce que
c'est.
-- Pas trop."
Rosalie la regarda, se demandant evidemment si elle etait stupide;
puis-elle continua:
"Enfin, c'est des broches enfoncees dans des godets, sur
lesquelles s'enroule le fil; quand elles sont pleines, on les
retire du godet, on en charge les wagonets qui roulent sur un
petit chemin de fer, et on les mene aux ateliers de tissage; ca
fait une promenade; j'ai commence par la, maintenant je suis aux
cannettes."
Elles avaient traverse un dedale de cours, sans que Perrine,
attentive a ces paroles, pour elles si pleines d'interet, put
arreter ses yeux sur ce qu'elle voyait autour d'elle, quand
Rosalie lui designa de la main une ligne de batiments neufs, a un
etage, sans fenetres, mais eclaires a l'exposition du nord par des
chassis vitres qui formaient la moitie du toit.
"C'est la", dit-elle.
Et aussit
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