egarda la lutte. Raoul etait calme
comme s'il eut joue avec un fleuret, au lieu de jouer avec une
epee; il degagea son arme engagee jusqu'a la poignee en faisant un
pas de retraite, para avec des contres les trois ou quatre coups
que lui porta de Wardes; puis, sur une menace en quarte basse que
de Wardes para par le cercle, il lia l'epee et l'envoya a vingt
pas de l'autre cote de la barriere.
Puis, comme de Wardes demeurait desarme et etourdi, Raoul remit
son epee au fourreau, le saisit au collet et a la ceinture et le
jeta de l'autre cote de la barriere, fremissant et hurlant de
rage.
-- Au revoir! au revoir! murmura de Wardes en se relevant et en
ramassant son epee.
-- Eh! pardieu! dit Raoul, je ne vous repete pas autre chose
depuis une heure.
Puis, se retournant vers Buckingham:
-- Duc, dit-il, pas un mot de tout cela, je vous en supplie; je
suis honteux d'en etre venu a cette extremite, mais la colere m'a
emporte. Je vous en demande pardon, oubliez.
-- Ah! cher vicomte, dit le duc en serrant cette main si rude et
si loyale a la fois, vous me permettrez bien de me souvenir, au
contraire, et de me souvenir de votre salut, cet homme est
dangereux, il vous tuera.
-- Mon pere, repondit Raoul, a vecu vingt ans sous la menace d'un
ennemi bien plus redoutable, et il n'est pas mort. Je suis d'un
sang que Dieu favorise, monsieur le duc.
-- Votre pere avait de bons amis, vicomte.
-- Oui, soupira Raoul, des amis comme il n'y en a plus.
-- Oh! ne dites point cela, je vous en supplie, au moment ou je
vous offre mon amitie.
Et Buckingham ouvrit ses bras a Bragelonne, qui recut avec joie
l'alliance offerte.
-- Dans ma famille, ajouta Buckingham, on meurt pour ceux que l'on
aime, vous savez cela, monsieur de Bragelonne.
-- Oui, duc, je le sais, repondit Raoul.
Chapitre LXXXVIII -- Ce que le Chevalier de Lorraine pensait de
Madame
Rien ne troubla plus la securite de la route. Sous un pretexte qui
ne fit pas grand bruit, M. de Wardes s'echappa pour prendre les
devants.
Il emmena Manicamp, dont l'humeur egale et reveuse lui servait de
balance.
Il est a remarquer que les esprits querelleurs et inquiets
trouvent toujours une association a faire avec des caracteres doux
et timides, comme si les uns cherchaient dans le contraste un
repos a leur humeur, les autres une defense pour leur propre
faiblesse.
Buckingham et Bragelonne, initiant de Guiche a leur amitie,
formaient tout le long de la
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