votre
coeur.
-- Alors, repliqua le comte, je n'ai pas besoin de dire a Votre
Majeste que mon but est de faire le bonheur de ces enfants ou
plutot de cet enfant.
-- Et moi, je veux, comme vous, le bonheur de M. de Bragelonne.
-- Je n'attends plus, Sire, que la signature de Votre Majeste.
Raoul aura l'honneur de se presenter devant vous, et recevra votre
consentement.
-- Vous vous trompez, comte, dit fermement le roi; je viens de
vous dire que je voulais le bonheur du vicomte; aussi m'oppose-je
en ce moment a son mariage.
-- Mais, Sire, s'ecria Athos, Votre Majeste m'a promis...
-- Non pas cela, comte; je ne vous l'ai point promis, car cela est
oppose a mes vues.
-- Je comprends tout ce que l'initiative de Votre Majeste a de
bienveillant et de genereux pour moi; mais je prends la liberte de
vous rappeler que j'ai pris l'engagement de venir en ambassadeur.
-- Un ambassadeur, comte, demande souvent et n'obtient pas
toujours.
-- Ah! Sire, quel coup pour Bragelonne!
-- Je donnerai le coup, je parlerai au vicomte.
-- L'amour, Sire, c'est une force irresistible.
-- On resiste a l'amour; je vous le certifie, comte.
-- Lorsqu'on a l'ame d'un roi, votre ame, Sire.
-- Ne vous inquietez plus a ce sujet. J'ai des vues sur
Bragelonne; je ne dis pas qu'il n'epousera pas Mlle de La
Valliere; mais je ne veux point qu'il se marie si jeune; je ne
veux point qu'il epouse avant qu'il ait fait fortune, et lui, de
son cote, merite mes bonnes graces, telles que je veux les lui
donner. En un mot, je veux qu'on attende.
-- Sire, encore une fois...
-- Monsieur le comte, vous etes venu, disiez-vous, me demander une
faveur?
-- Oui, certes.
-- Eh bien! accordez-m'en une, ne parlons plus de cela. Il est
possible qu'avant un long temps je fasse la guerre; j'ai besoin de
gentilshommes libres autour de moi. J'hesiterais a envoyer sous
les balles et le canon un homme marie, un pere de famille,
j'hesiterais aussi, pour Bragelonne, a doter, sans raison majeure,
une jeune fille inconnue, cela semerait de la jalousie dans ma
noblesse.
Athos s'inclina et ne repondit rien.
-- Est-ce tout ce qu'il vous importait de me demander? ajouta
Louis XIV.
-- Tout absolument, Sire, et je prends conge de Votre Majeste.
Mais faut-il que je previenne Raoul?
-- Epargnez-vous ce soin, epargnez-vous cette contrariete. Dites
au vicomte que demain, a mon lever, je lui parlerai; quant a ce
soir, comte, vous etes de mon jeu.
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