l avait, en effet, une jambe cassee.
Maitre Le Harivau le fit etendre sur une table, et un cavalier courut
a Rouville pour chercher le medecin, qui arriva une heure apres.
Le fermier fut tres genereux et annonca qu'il payerait le traitement
de l'homme a l'hopital.
Le docteur emporta donc Pavilly dans sa voiture et le deposa dans un
dortoir peint a la chaux ou sa fracture fut reduite.
Des qu'il comprit qu'il n'en mourrait pas et qu'il allait etre soigne,
gueri, dorlote, nourri a rien faire, sur le dos, entre deux draps,
Pavilly fut saisi d'une joie debordante, et il se mit a rire d'un rire
silencieux et continu qui montrait ses dents gatees.
Des qu'une soeur approchait de son lit, il lui faisait des grimaces de
contentement, clignait de l'oeil, tordait sa bouche, remuait son nez
qu'il avait tres long et mobile a volonte. Ses voisins de dortoir,
tout malades qu'ils etaient, ne pouvaient se tenir de rire, et la
soeur superieure venait souvent a son lit pour passer un quart d'heure
d'amusement. Il trouvait pour elle des farces plus droles, des
plaisanteries inedites et comme il portait en lui le germe de tous les
cabotinages, il se faisait devot pour lui plaire, parlait du bon Dieu
avec des airs serieux d'homme qui sait les moments ou il ne faut plus
badiner.
Un jour, il imagina de lui chanter des chansons. Elle fut ravie et
revint plus souvent; puis, pour utiliser sa voix, elle lui apporta un
livre de cantiques. On le vit alors assis dans son lit, car il
commencait a se remuer, entonnant d'une voix de fausset les louanges
de l'Eternel, de Marie et du Saint-Esprit, tandis que la grosse bonne
soeur, debout a ses pieds, battait la mesure avec un doigt en lui
donnant l'intonation. Des qu'il put marcher, la superieure lui offrit
de le garder quelque temps de plus pour chanter les offices dans la
chapelle, tout en servant la messe et remplissant aussi les fonctions
de sacristain. Il accepta. Et pendant un mois entier on le vit, vetu
d'un surplis blanc, et boitillant, entonner les repons et les psaumes
avec des ports de tete si plaisants que le nombre des fideles
augmenta, et qu'on desertait la paroisse pour venir a vepres a
l'hopital.
Mais comme tout finit en ce monde, il fallut bien le congedier quand
il fut tout a fait gueri. La superieure, pour le remercier, lui fit
cadeau de vingt-cinq francs.
Des que Pavilly se vit dans la rue avec cet argent dans sa poche, il
se demanda ce qu'il allait faire. Retournerait
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