ree, et je me sentais dedans,
content, satisfait, bien heureux comme entre les bras d'une femme
aimable dont la caresse accoutumee est devenue un calme et doux
besoin.
J'avais fait construire cette maison dans un beau jardin qui l'isolait
des routes, et a la porte d'une ville ou je pouvais trouver, a
l'occasion, les ressources de societe dont je sentais, par moments, le
desir. Tous mes domestiques couchaient dans un batiment eloigne, au
fond du potager, qu'entourait un grand mur. L'enveloppement obscur des
nuits, dans le silence de ma demeure perdue, cachee, noyee sous les
feuilles des grands arbres, m'etait si reposant et si bon, que
j'hesitais chaque soir, pendant plusieurs heures, a me mettre au lit
pour le savourer plus longtemps.
Ce jour-la, on avait joue _Sigurd_ au theatre de la ville. C'etait la
premiere fois que j'entendais ce beau drame musical et feerique, et
j'y avais pris un vif plaisir.
Je revenais a pied, d'un pas allegre, la tete pleine de phrases
sonores, et le regard hante par de jolies visions. Il faisait noir,
noir, mais noir au point que je distinguais a peine la grande route,
et que je faillis, plusieurs fois, culbuter dans le fosse. De l'octroi
chez moi, il y a un kilometre environ, peut-etre un peu plus, soit
vingt minutes de marche lente. Il etait une heure du matin, une heure
ou une heure et demie; le ciel s'eclaircit un peu devant moi et le
croissant parut, le triste croissant du dernier quartier de la lune.
Le croissant du premier quartier, celui qui se leve a quatre ou cinq
heures du soir, est clair, gai, frotte d'argent, mais celui qui se
leve apres minuit est rougeatre, morne, inquietant; c'est le vrai
croissant du Sabbat? Tous les noctambules ont du faire cette
remarque. Le premier, fut-il mince comme un fil, jette une petite
lumiere joyeuse qui rejouit le coeur, et dessine sur la terre des
ombres nettes; le dernier repand a peine une lueur mourante, si terne
qu'elle ne fait presque pas d'ombres.
J'apercus au loin la masse sombre de mon jardin, et je ne sais d'ou me
vint une sorte de malaise a l'idee d'entrer la-dedans. Je ralentis le
pas. Il faisait tres doux. Le gros tas d'arbres avait l'air d'un
tombeau ou ma maison etait ensevelie.
J'ouvris ma barriere et je penetrai dans la longue allee de sycomores,
qui s'en allait vers le logis, arquee en voute comme un haut tunnel,
traversant des massifs opaques et contournant des gazons ou les
corbeilles de fleurs plaquaient, sous les
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