l parut, contenant
cinq livres, depuis le sixieme jusqu'au onzieme inclusivement, les
contemporains se recrierent comme ils font toujours, et le mirent fort
au-dessous du premier. C'est pourtant dans ce recueil que se trouve au
complet la fable, telle que l'a inventee La Fontaine. Il avait fini
evidemment par y voir surtout un cadre commode a pensees, a sentiments,
a causerie; le petit drame qui en fait le fond n'y est plus toujours
l'essentiel comme auparavant; la moralite de quatrain y vient au bout
par un reste d'habitude; mais la fable, plus libre en son cours, tourne
et derive, tantot a l'elegie et a l'idylle, tantot a l'epitre et au
conte: c'est une anecdote, une conversation, une lecture, elevees a la
poesie, un melange d'aveux charmants, de douce philosophie et de plainte
reveuse. La Fontaine est notre seul grand poete personnel et reveur
avant Andre Chenier. Il se met volontiers dans ses vers, et nous
entretient de lui, de son ame, de ses caprices et de ses faiblesses. Son
accent respire d'ordinaire la malice, la gaiete, et le conteur grivois
nous rit du coin de l'oeil, en branlant la tete. Mais souvent aussi il
a des tons qui viennent du coeur et une tendresse melancolique qui le
rapproche des poetes de notre age. Ceux du XVIe siecle avaient bien
eu deja quelque avant-gout de reverie; mais elle manquait chez eux
d'inspiration individuelle, et ressemblait trop a un lieu-commun
uniforme, d'apres Petrarque et Bembe. La Fontaine lui rendit un
caractere primitif d'expression vive et discrete; il la debarrassa de
tout ce qu'elle pouvait avoir contracte de banal ou de sensuel; Platon,
par ce cote, lui fut bon a quelque chose comme il l'avait ete a
Petrarque; et quand le poete s'ecrie dans une de ses fables delicieuses:
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrete?
Ai-je passe le temps d'aimer?
ce mot _charme_, ainsi employe en un sens indefini et tout metaphysique,
marque en poesie francaise un progres nouveau qu'ont releve et poursuivi
plus tard Andre Chenier et ses successeurs. Ami de la retraite, de la
solitude, et peintre des champs, La Fontaine a encore sur ses devanciers
du XVIe siecle l'avantage d'avoir donne a ses tableaux des couleurs
fideles qui sentent, pour ainsi dire, le pays et le terroir. Ces
plaines immenses de bles ou se promene de grand matin le maitre, et ou
l'allouette cache son nid; ces bruyeres et ces buissons ou fourmille
tout un petit monde; ces jolies garennes, dont les hotes etourdis fo
|