tout ce qui l'entoure, en tire des images, des
comparaisons sans nombre, en fait jaillir des sources imprevues de
tendresse. Juliette, au balcon, croit entendre le chant de l'alouette,
et presse son jeune epoux de partir; mais Romeo veut que ce soit le
rossignol qu'on entend, afin de rester encore.
La douleur est superstitieuse; l'ame, en ses moments extremes, a de
singuliers retours; elle semble, avant de quitter cette vie, s'y
rattacher a plaisir par les fils les plus delies et les plus fragiles.
Desdemona, emue du vague pressentiment de sa fin, revient toujours, sans
savoir pourquoi, a _une chanson de Saule_ que lui chantait dans son
enfance une vieille esclave qu'avait sa mere. C'est ainsi que le lyrique
meme, grace aux details naifs qui le retiennent et le fixent dans la
realite, ne fait pas hors-d'oeuvre, et concourt directement a l'effet
dramatique.
Le pittoresque epique, le descriptif pompeux sied mal au style du drame;
mais sans se mettre expres a decrire, sans etaler sa toile pour peindre,
il est tel mot de pure causerie qui, jete comme au hasard, va nous
donner la couleur des lieux et preciser d'avance le theatre ou se
deploiera la passion. Duncan arrive avec sa suite au chateau de Macbeth;
il en trouve le site agreable, et Banco lui fait remarquer qu'il y a des
nids de martinets a chaque frise et a chaque creneau: preuve, dit-il,
que l'air est salubre en cet endroit. Shakspeare abonde en traits
pareils; les tragiques grecs en offriraient egalement. Racine n'en a
jamais.
Le style de Racine se presente, des l'abord, sous une teinte assez
uniforme d'elegance et de poesie; rien ne s'y detache particulierement.
Le procede en est d'ordinaire analytique et abstrait; chaque personnage
principal, au lieu de repandre sa passion au dehors en ne faisant qu'un
avec elle, regarde le plus souvent cette passion au dedans de lui-meme,
et la raconte par ses paroles telle qu'il la voit au sein de ce monde
interieur, au sein de ce _moi_, comme disent les philosophes: de la une
maniere generale d'exposition et de recit qui suppose toujours dans
chaque heros ou chaque heroine un certain loisir pour s'examiner
prealablement; de la encore tout un ordre d'images delicates, et un
tendre coloris de demi-jour, emprunte a une savante metaphysique du
coeur; mais peu ou point de realite, et aucun de ces details qui nous
ramenent a l'aspect humain de cette vie. La poesie de Racine elude les
details, les dedaigne, et quand elle voudra
|