admirateur, et qui semble un de ses parents les plus proches par le
genie, ecrivait de Moliere: "En pensant bien, il parle souvent mal. Il
se sert des phrases les plus forcees et les moins naturelles. Terence
dit en quatre mots, avec la plus elegante simplicite, ce que celui-ci ne
dit qu'avec une multitude de metaphores qui approchent du galimatias.
J'aime bien mieux sa prose que ses vers. Par exemple, l'_Avare_ est
moins mal ecrit que les pieces qui sont en vers: il est vrai que la
versification francoise l'a gene; il est vrai meme qu'il a mieux reussi
pour les vers dans l'_Amphitryon_, ou il a pris la liberte de faire des
vers irreguliers. Mais en general il me paroit, jusque dans sa prose,
ne parler point assez simplement pour exprimer toutes les passions." Il
faut se souvenir que l'auteur de cet etrange jugement avait la maniere
d'ecrire la plus antipathique a Moliere qui se puisse imaginer. Il etait
doux, fleuri, agreablement subtil, epris des antiques chimeres, doue des
signes gracieux de l'avenir; et sa prose, _encor qu'un peu trainante_,
ne ressemblait pas mal a ces beaux vieillards divins dont il nous parle
souvent, a longue barbe plus blanche que la neige, et qui, soutenus d'un
baton d'ivoire, s'acheminaient lentement au milieu des bocages vers un
temple du plus pur marbre de Paros. Quoi qu'il en soit, il enoncait a
coup sur, dans cette lettre a l'Academie, l'opinion de plus d'un esprit
delicat, de plus d'un academicien de son temps, et Racine lui-meme se
serait probablement entendu avec lui pour critiquer sur beaucoup de
points la diction de Moliere.
La sienne est scrupuleuse, irreprochable, et tout l'eloge qu'on a
coutume de faire du style de Racine en general doit s'appliquer sans
reserve a sa diction. Nul n'a su mieux que lui la valeur des mots, le
pouvoir de leur position et de leurs alliances, l'art des transitions,
_ce chef-d'oeuvre le plus difficile de la poesie_, comme lui disait
Boileau; on peut voir la-dessus leur correspondance. En se tenant a un
vocabulaire un peu restreint, Racine a multiplie les combinaisons et les
ressources. On remarquera que dans ses tours il conserve par moments des
traces legeres d'une langue anterieure a la sienne, et je trouve pour
mon compte un charme infini a ces idiotismes trop peu nombreux qui
lui ont valu d'etre souligne quelquefois par les critiques du dernier
siecle.
En somme, et ceci soit dit pour dernier mot, il y aurait injustice,
ce me semble, a traiter Rac
|