leur tresor est inepuisable au dedans. Ils font, sans trop s'inquieter
ni se rendre compte de leurs moyens de faire; ils ne se replient pas a
chaque heure de veille sur eux-memes; ils ne retournent pas la tete en
arriere a chaque instant pour mesurer la route qu'ils ont parcourue et
calculer celle qui leur reste; mais ils marchent a grandes journees sans
se lasser ni se contenter jamais. Des changement secrets s'accomplissent
en eux, au sein de leur genie, et quelquefois le transforment; ils
subissent ces changements comme des lois, sans s'y meler, sans y aider
artificiellement, pas plus que l'homme ne hate le temps ou ses cheveux
blanchissent, l'oiseau la mue de son plumage, ou l'arbre les changements
de couleur de ses feuilles aux diverses saisons; et, procedant ainsi
d'apres de grandes lois interieures et une puissante donnee originelle,
ils arrivent a laisser trace de leur force en des oeuvres sublimes,
monumentales, d'un ordre reel et stable sous une irregularite apparente
comme dans la nature, d'ailleurs entrecoupees d'accidents, herissees
de cimes, creusees de profondeurs: voila pour les uns. Les autres ont
besoin de naitre en des circonstances propices, d'etre cultives par
l'education et de murir au soleil; ils se developpent lentement,
sciemment, se fecondent par l'etude et s'accouchent eux-memes avec art.
Ils montent par degres, parcourent les intervalles et ne s'elancent pas
au but du premier bond; leur genie grandit avec le temps et s'edifie
comme un palais auquel on ajouterait chaque annee une assise; ils ont
de longues heures de reflexion et de silence durant lesquelles ils
s'arretent pour reviser leur plan et deliberer: aussi l'edifice, si
jamais il se termine, est-il d'une conception savante, noble, lucide,
admirable, d'une harmonie qui d'abord saisit l'oeil, et d'une execution
achevee. Pour le comprendre, l'esprit du spectateur decouvre sans
peine et monte avec une sorte d'orgueil paisible l'echelle d'idees
par laquelle a passe le genie de l'artiste. Or, suivant une remarque
tres-fine et tres-juste du Pere Tournemire, on n'admire jamais dans un
auteur que les qualites dont on a le germe et la racine en soi. D'ou
il suit que, dans les ouvrages des esprits superieurs, il est un degre
relatif ou chaque esprit inferieur s'eleve, mais qu'il ne franchit pas,
et d'ou il juge l'ensemble comme il peut. C'est presque comme pour les
familles de plantes etagees sur les Cordilleres, et qui ne depassent
jamais une cert
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