irituel auteur
des _Deux Gendres_ de vouloir renverser l'autel du plus grand maitre
de notre scene. Or, est-ce davantage vouloir renverser Racine que de
declarer qu'on prefere chez lui la poesie pure au drame, et qu'on est
tente de le rapporter a la famille des genies lyriques, des chantres
elegiaques et pieux, dont la mission ici-bas est de celebrer l'_amour_
(en prenant _amour_ dans le meme sens que Dante et Platon)?
Independamment de l'examen direct des oeuvres, ce qui nous a surtout
confirme dans notre opinion, c'est le silence de Racine et la
disposition d'esprit qu'il marqua durant les longues annees de sa
retraite. Les facultes innees qu'on a exercees beaucoup et qu'on arrete
brusquement au milieu de la carriere, apres les premiers instants donnes
au delassement et au repos, se reveillent et recommencent a desirer le
genre de mouvement qui leur est propre. D'abord il n'en vient a l'ame
qu'une plainte sourde, lointaine, etouffee, qui n'indique pas son objet
et nous livre a tout le vague de l'_ennui_. Bientot l'inquietude se
decide; la faculte sans aliment s'_affame_, pour ainsi dire; elle crie
au dedans de nous: c'est comme un coursier genereux qui hennit dans
l'etable et demande l'arene; on n'y peut tenir, et tous les projets
de retraite sont oublies. Qu'on se figure, par exemple, a la place
de Racine, au sein du meme loisir, quelqu'un de ces genies
incontestablement dramatiques, Shakspeare, Moliere, Beaumarchais, Scott.
Oh! les premiers mois d'inaction passes, comme le cerveau du poete va
fermenter et se remplir! comme chaque idee, chaque sentiment va revetir
a ses yeux un masque, un personnage, et marcher a ses cotes! que de
generations spontanees vont eclore de toutes parts et lever la tete sur
cette eau dormante! que d'etres inacheves, flottants, passeront dans ses
reves et lui feront signe de venir! que de voix plaintives lui parleront
comme a Tancrede dans la foret enchantee! La reine Mab descendra en char
et se posera sur ce front endormi. Soudain Ariel ou Puck, Scapin ou
Dorine, Cherubin ou Fenella, merveilleux lutins, messagers malicieux et
empresses, s'agiteront autour du maitre, le tirailleront de mille cotes
pour qu'il prenne garde a leurs etres cheris, a leurs amants separes, a
leurs princesses malheureuses; ils les evoqueront devant lui, comme dans
l'Elysee antique le devin Tiresias, ou plutot le vieil Anchise, evoquait
les ames des heros qui n'avaient pas vecu; ils les feront passer par
groupes, o
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