MAINTENON.)
Jean Racine, le grand poete,
Le poete aimant et pieux,
Apres que sa lyre muette
Se fut voilee a tous les yeux,
Renoncant a la gloire humaine,
S'il sentait en son ame pleine
Le flot contenu murmurer,
Ne savait que fondre en priere,
Pencher l'urne dans la poussiere
Aux pieds du Seigneur, et pleurer.
Comme un coeur pur de jeune fille
Qui coule et deborde en secret,
A chaque peine de famille,
Au moindre bonheur, il pleurait;
A voir pleurer sa fille ainee;
A voir sa table couronnee
D'enfants, et lui-meme au declin;
A sentir les inquietudes
De pere, tout causant d'etudes,
Les soirs d'hiver, avec Rollin;
Ou si dans la sainte patrie,
Berceau de ses reves touchants,
Il s'egarait par la prairie
Au fond de Port-Royal-des-Champs;
S'il revoyait du cloitre austere
Les longs murs, l'etang solitaire,
Il pleurait comme un exile;
Pour lui, pleurer avait des charmes.
Le jour que mourait dans les larmes
Ou La Fontaine ou Champmesle[27].
Surtout ces pleurs avec delices
En ruisseaux d'amour s'ecoulaient,
Chaque fois que sous des cilices
Des fronts de seize ans se voilaient;
Chaque fois que des jeunes filles,
Le jour de leurs voeux, sous les grilles
S'en allaient aux yeux des parents,
Et foulant leurs bouquets de fete,
Livrant les cheveux de leur tete,
Epanchaient leur ame a torrents.
Lui-meme il dut payer sa dette;
Au temple il porta son agneau;
Dieu marquant sa fille cadette,
La dota du mystique anneau.
Au pied de l'autel avancee,
La douce et blanche fiancee
Attendait le divin Epoux;
Mais, sans voir la ceremonie,
Parmi l'encens et l'harmonie
Sanglotait le pere a genoux[28].
[Note 27: Il est permis de supposer, malgre ce qu'on a vu plus haut,
que le poete donna secretement a la Champmesle quelques larmes et
quelques prieres.]
[Note 28: Lope de Vega eut aussi une fille, et la plus cherie, qui se
fit religieuse; il composa sur cette prise de voile une piece de vers
fort touchante, ou il decrit avec beaucoup d'exaltation les alternatives
de ses emotions de pere et de ses joies comme chretien (Fauriel; _Vie de
Lope de Vega_). Mais Racine ne put que pleurer.]
Sanglots, soupirs, pleurs de tendresse,
Pareils a ceux qu'en sa ferveur
Madeleine la pecheresse
Repandit aux pieds du Sauveur;
Pareils aux flots de parfum rare
Qu'en pleurant la soeur de Lazare
De ses longs cheveux essuya;
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