ateurs exageres me l'ont rendu
comme dans un miroir grossissant. Je reprendrai le Racine chretien au
complet dans mon ouvrage sur Port-Royal; en attendant, je me borne a
en tirer les remarques que voici: "Quelle erreur nous avons soutenue
autrefois! Il nous paraissait qu'_Athalie_ aurait ete plus belle, s'il y
avait eu les grandes statues dans le vestibule, le bassin d'airain, etc.
Cela, au contraire, presente disproportionnement, nous eut cache le vrai
sujet, le Dieu un et spirituel, invisible et qui remplit tout.--Peu de
decors dans Racine; et il a raison au fond: l'unite du Dieu invisible en
ressort mieux. Lorsque Pompee, usant du droit de conquete, entra dans
le Saint des Saints, il observa avec etonnement, dit Tacite, qu'il n'y
avait aucune image et que le sanctuaire etait vide. C'etait un dicton
populaire, en parlant des Juifs, que "_Nil praeter nubes et coeli numen
adorant_."]
Il ne dirait pas dans ses choeurs, quand il fait parler l'impie
voluptueux:
Ainsi qu'on choisit une rose
Dans les guirlandes de Sarons,
Choisissez une vierge eclose
Parmi les lis de vos vallons:
Enivrez-vous de son haleine,
Ecartez ses tresses d'ebene,
Goutez les fruits de sa beaute.
Vivez, aimez, c'est la sagesse:
Hors le plaisir et la tendresse,
Tout est mensonge et vanite.
Il ne dirait pas davantage:
O tombeau! vous etes mon pere;
Et je dis aux vers de la terre:
Vous etes ma mere et mes soeurs.
L'avouerai-je? _Esther_, avec ses douceurs charmantes et ses aimables
peintures, _Esther_, moins dramatique qu'_Athalie_, et qui vise moins
haut, me semble plus complete en soi, et ne laisser rien a desirer.
Il est vrai que ce gracieux episode de la Bible s'encadre entre deux
evenements etranges, dont Racine se garde de dire un seul mot, a savoir
le somptueux festin d'Assuerus, qui dura cent quatre-vingts jours, et le
massacre que firent les Juifs de leurs ennemis, et qui dura deux jours
entiers, sur la priere formelle de la Juive Esther. A cela pres, ou
plutot meme a cause de l'omission, ce delicieux poeme, si parfait
d'ensemble, si rempli de pudeur, de soupirs et d'onction pieuse, me
semble le fruit le plus naturel qu'ait porte le genie de Racine. C'est
l'epanchement le plus pur, la plainte la plus enchanteresse de cette ame
tendre qui ne savait assister a la prise d'habit d'une novice sans se
noyer dans les larmes, et dont madame de Maintenon ecrivait: "Racine,
qui veut pleurer, viendra a la profession
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