restait momentanement foncierement attache a son cousin.
Tel etait l'homme qui venait d'entrer chez Barba Roja au moment ou le
colosse vaincu tournait autour de sa chambre comme un fauve en cage.
--Eh bien? interrogea-t-il anxieusement.
Centurion haussa dedaigneusement les epaules et repondit d'une voix
qu'il s'efforcait de rendre calme, mais ou percait, malgre lui, une
sourde irritation:
--Eh bien, c'etait prevu! Monseigneur le grand inquisiteur, pour des
raisons que je ne saisis pas, a juge bon de le laisser echapper.
--Sang du Christ!... Que la fievre maligne etrangle le damne pretre
qui s'avise de jouer a la generosite!... Si cet homme vit, je reste
deshonore, et je perds la confiance du roi et je n'ai plus qu'a me
retirer dans quelque cloitre et y crever de honte et de maceration!...
Ces paroles jeterent la consternation dans l'ame du devoue Centurion. La
disgrace du dogue de Philippe II entrainait sa deconfiture a lui. Aussi,
fut-ce tres sincerement qu'il repondit non sans quelque melancolie:
--J'entends bien, mon cousin. Mais vous exagerez quelque peu, a mon
sens. Sa Majeste ne peut raisonnablement vous faire un crime d'avoir
trouve votre maitre. A bien considerer les choses, j'estime que, dans
votre malheur, vous avez encore du bonheur.
--Comment cela?
--Sans doute. Il aurait pu se faire que vous fussiez tombe sur un
Espagnol desireux de vous supplanter aupres du roi, et vous eussiez ete
irremissiblement perdu. Au lieu de cela, vous avez eu la bonne fortune
de tomber sur un Francais, et, qui mieux est, sur un ennemi de Sa
Majeste. Vous voila bien tranquille: celui-la ne cherchera pas a prendre
votre place...
--Peut-etre as-tu raison, dit Barba Roja. Mais, n'importe, il me faut
une vengeance.
--Oh! pour cela, dit Centurion sous le sourcil duquel jaillit une lueur
fauve, je suis de votre avis. Et, si vous avez une dent contre le
Francais, j'en ai une aussi, et d'une belle longueur, je vous en
reponds...
--Enfin, l'as-tu vu? Ou est-il? Que fait-il?
--Il doit etre maintenant rentre a son hotel ou je suppose qu'il se
restaure. Je l'ai vu et je lui ai parle. A telle enseigne qu'il m'a fait
l'aumone...
--Tu l'as vu! gronda Barba Roja, et...
--Je vous entends, mon cousin, dit Centurion avec un sourire livide.
S'il a echappe, croyez bien que ce n'est pas le fait de ma volonte. Il
faut croire qu'une providence veille sur lui, car, comme j'allais lui
enfoncer le poignard que voici entre le
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