decider a
rien.
XXII.
Il ne mentait pas en disant que Marthe lui etait necessaire. Il avait
horreur de la solitude, et il avait besoin du devouement d'autrui, deux
choses qui lui rendaient Marthe plus precieuse encore qu'il n'osait
le dire a Laraviniere; car celui-ci n'etait plus dispose a se faire
illusion sur son compte, et, s'il eut devine le veritable motif de cette
perseverance, il l'eut taxe d'egoisme et d'exploitation. Marthe etait
plus facile a tromper ou a contenter. Il lui suffisait qu'Horace lui
dit un mot de crainte ou de regret a l'idee de separation, pour qu'elle
acceptat heroiquement toutes les souffrances attachees a cette union
malheureuse.
"Il a plus besoin de moi qu'on ne pense, disait-elle; sa sante n'est pas
si forte qu'elle le parait. Il a de frequentes indispositions par suite
d'une irritabilite des nerfs qui m'a fait parfois craindre, sinon pour
sa vie, du moins pour sa raison. A la moindre douleur, il s'exaspere
d'une facon effrayante. Et puis il est distrait, nonchalant; il ne
sait pas s'occuper de lui-meme: si je n'etais pas la, au milieu de ses
reveries et de ses divagations, il oublierait de dormir et de manger.
Sans compter qu'il n'aurait jamais la precaution et l'attention de
mettre tous les jours vingt sous de cote pour diner. Enfin, il m'aime,
malgre toutes ses boutades. Il m'a dit cent fois, dans ces moments
d'abandon et de repentir ou l'on est vraiment soi-meme, qu'il preferait
souffrir encore mille fois plus de son amour que de guerir en cessant
d'aimer."
C'est ainsi que Marthe parlait a Laraviniere; car ce dernier, voyant
qu'Horace ne se decidait a rien, avait rompu la glace avec elle, apres
avoir bien et dument averti Horace de ce qu'il allait faire. Horace,
qui l'avait pris, pour ses amere critiques, en une veritable aversion,
prevoyant qu'il faudrait desormais en venir a des querelles serieuses
pour l'eloigner, l'avait mis ironiquement au defi de lui voler le
coeur de Marthe, et lui donnait desormais carte blanche aupres d'elle.
Quoiqu'il fut outre de l'aplomb dedaigneux avec lequel Jean procedait
ouvertement contre lui, il ne le craignait pas. Il le savait maladroit,
timide, plus scrupuleux et plus compatissant qu'il ne voulait le
paraitre; et il sentait bien que d'un mot il detruirait, dans l'esprit
de son indulgente amie, tout l'effet du plus long discours possible de
Laraviniere. Il en fut ainsi, et il se donna la peine de regagner son
empire sur Marthe, comme s
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