our laisser passer
la premiere bourrasque de colere et de chagrin. Lui aussi, le pauvre
imbecile, a cru a un suicide! lui aussi, il a ete a la police et a la
Morgue! lui aussi, sans doute, a trouve un billet d'adieu et de belles
phrases de pardon au bout d'une trahison consommee avec Paul Arsene! Je
pense que c'est un billet tout pareil au mien; le meme peut servir dans
toutes les circonstances de ce genre!..."
Horace parla longtemps sur ce ton avec une acrete inouie. Je le trouvai
en cet instant si absurde et si injuste, que, n'ayant pas le courage
de le blamer hautement, mais ne partageant nullement ses soupcons, je
gardai le silence. Apres tout, comme j'etais force de le laisser a
lui-meme jusqu'au lendemain, j'aimais mieux le voir ranime par des
dispositions ameres que terrasse par l'inquietude insupportable de
la journee. Je le quittai sans lui rien dire qui put influencer son
jugement.
XXIV.
Lorsque je revins le revoir dans l'apres-midi, je le trouvai au lit avec
un peu de fievre et une violente agitation nerveuse. Je m'efforcai de le
calmer par des remontrances assez severes; mais je cessai bientot, en
voyant qu'il ne demandait qu'a etre contredit afin d'exhaler tout son
ressentiment. Je lui reprochai d'avoir plus de depit que de douleur.
Alors il me soutint qu'il etait au desespoir; et a force de parler de
son chagrin, il en ressentit de violents acces: la colere fit place aux
sanglots. En cet instant Arsene entra. Le genereux jeune homme, sans
s'inquieter des soupcons injurieux d'Horace, que Laraviniere ne lui
avait pas caches, venait tacher de lui faire un peu de bien en les
dissipant. Il y mit tant de grandeur et de dignite, qu'Horace se jeta
dans son sein, le remercia avec enthousiasme, et, passant de l'aversion
la plus puerile a la tendresse la plus exaltee, le pria d'etre _son
frere, son consolateur, son meilleur ami, le medecin de son ame malade
et de son cerveau en delire_.
Quoique nous sentissions bien, Arsene et moi, qu'il y avait de
l'exageration dans tout cela, nous fumes attendris des paroles
eloquentes qu'il sut trouver pour nous interesser a son malheur, et nous
voulumes passer le reste de la journee avec lui. Comme il n'avait plus
de fievre, et qu'il n'avait rien pris la veille, je l'emmenai diner avec
Arsene chez le brave Pinson. Nous rencontrames Laraviniere en chemin, et
je l'emmenai aussi. D'abord notre repas fut silencieux et melancolique
comme le comportait la circonstance; mai
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