ait encore,
faute d'avoir pu l'etouffer (car il y avait fait son possible), se
retrempa a cette source d'examen qu'il n'avait pas encore abordee,
et prit un caractere encore plus calme et plus noble, un caractere
religieux pour ainsi dire.
En effet, jusque-la Marthe n'avait ete pour lui que l'objet d'une
passion tenace, invincible. Il l'avait maudite cent fois, cette passion
qui puisait des forces nouvelles dans tout ce qui eut du la detruire;
mais comme elle regnait la sur une grande ame, bien qu'elle y fut
mysterieuse, incomprehensible pour celui-la meme qui la ressentait, elle
n'y produisait que des resultats magnanimes, une generosite sans exemple
et sans bornes. Aussi quels affreux combats cette ame fiere et rigide
se livrait ensuite a elle-meme! Comme Arsene rougissait d'etre ainsi
l'esclave d'un attachement que l'austerite un peu etroite de son
education populaire lui apprenait a reprouver! Lui dont les moeurs
etaient si pures, epris a ce point de l'ex-maitresse de M. Poisson, de
la maitresse actuelle d'un autre! Jamais il n'eut voulu profiter de
l'espece de faiblesse et d'entrainement que cette conduite de Marthe lui
laissait entrevoir, pour arracher, en secret, a la reconnaissance, a
l'amitie exaltee, des faveurs qu'il aurait voulu devoir seulement
a l'amour exclusif et durable. Mais malgre le peu d'espoir qui lui
restait, il se surprenait toujours a desirer la fin de cet amour pour
Horace, et a caresser le reve d'un mariage legal avec Marthe. C'est la
que l'attendaient pour le faire souffrir ses anciens prejuges, le blame
de ses pareils, l'indignation de sa soeur Louise, l'effroi de sa soeur
Suzanne, la crainte du ridicule, une sorte de mauvaise honte, toute
puissante parfois sur des caracteres eleves; car elle leur est enseignee
par l'opinion, comme le respect de soi-meme et des autres. C'est alors
qu'Arsene essayait d'arracher son amour de son sein, comme une fleche
empoisonnee. Mais sa nature evangelique s'y refusait: il etait force
d'aimer. La haine et le mepris qu'il appelait a son secours ne voulaient
pas entrer dans ce coeur plein d'indulgence, parce qu'il etait plein de
justice.
[Illustration: Il le trouva environne de fusils.]
Durant cet hiver qu'il passa loin de Marthe et qu'il consacra a etudier
du mieux qu'il put la religion, la nature et la societe, sous les
nouveaux aspects qui s'ouvraient devant lui de toutes parts; tour a tour
et a la fois fourieriste, republicain, saint-simonien et chret
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