ent. C'est a cette epoque que la misere m'a
contraint a lui laisser reprendre son travail, et quoique j'eusse vaincu
en apparence ma jalousie, je n'ai jamais pu la voir sortir seule, sans
conserver un soupcon qui me torturait. Mais je le combattais, Arsene;
je vous jure qu'il m'arrivait bien rarement de l'exprimer. Seulement
quelquefois, dans des accents de colere, je laissais echapper un mot
indirect, qui paraissait l'offenser et la blesser mortellement. Elle
ne pouvait pas supporter d'etre soupconnee d'un mensonge, d'une
dissimulation si legere qu'elle fut dans ma pensee. Sa fierte se
revoltait contre moi tous les jours dans une progression qui me faisait
craindre son changement ou son abandon. Pourtant, depuis quelques
semaines, j'etais plus maitre de moi, et, injuste qu'elle etait! elle
prenait ma vertu pour de l'indifference. Tout a coup une malheureuse
circonstance est venue reveiller l'orage. J'ai cru Marthe enceinte;
Theophile m'en a donne l'idee, et j'en ai ete consterne. Epargnez-moi
l'humiliation de vous dire a quel point le sentiment paternel etait peu
developpe en moi. Suis-je donc dans l'age ou cet instinct s'eveille dans
le coeur de l'homme? et puis l'horrible misere ne fait-elle pas une
calamite de ce qui peut etre un bonheur en d'autres circonstances? Bref,
je suis rentre chez moi precipitamment, il y a aujourd'hui quinze jours,
en quittant Theophile, et j'ai interroge Marthe avec plus de terreur que
d'esperance, je l'avoue. Elle m'a laisse dans le doute; et puis, irritee
des craintes chagrines que je manifestais, elle me declara que si elle
avait le bonheur de devenir mere, elle n'irait pas implorer pour son
enfant l'appui d'une paternite si mal comprise et si mal acceptee par
les hommes de _ma condition_. J'ai vu la un appel tacite vers vous,
Arsene, je me suis emporte; elle m'a traite avec un mepris accablant.
Depuis ces quinze jours, notre vie a ete une tempete continuelle, et je
n'ai pu eclaircir le doute poignant qui en etait cause. Tantot elle m'a
dit qu'elle etait grosse de six mois, tantot qu'elle ne l'etait pas, et,
en definitive, elle m'a dit que si elle l'etait, elle me le cacherait,
et s'en irait elever son enfant loin de moi. J'ai ete atroce dans ces
debats, je le confesse avec des larmes de sang. Lorsqu'elle niait
sa grossesse, j'en provoquais l'aveu par une tendresse perfide, et
lorsqu'elle l'avouait, je lui brisais le coeur par mon decouragement,
mes maledictions, et, pourquoi ne dirais-j
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