nue, hallucine, demi-mort....
La suite a demain....
LE THEATRE DE LA MISERE
Et les coudes sur la table, le cigare entre les dents, bien a son aise
dans un des coins du salon, l'oreille caressee par le doux bruissement
des causeries de la "famille," l'odorat chatouille par les fumees de la
tasse de the largement impregne de rhum, dans un etat d'esprit, enfin,
et de corps eminemment confortable, l'excellent M. Nephtali Cripple
jetait sur de frais feuillets de papier vert tendre, a la derniere mode,
l'historique de sa journee d'arrivee a Cleveland (Ohio).
L'ami Ruben Pratt, d'ailleurs, avait vivement engage Cripple a tenir la
promesse formelle faite a Mme Cripple de la tranquilliser le soir meme
sur le compte de son mari; de plus, il fallait se hater, car le courrier
filait par l'express de minuit et, deja, neuf heures avaient sonne.
Par suite de quoi le fortune Cripple imprimait au beau porte-plume de
nickel une danse veritablement etincelante sous l'eclat des bougies. Il
eut voulu, de grand coeur, communiquer tout d'abord a Mme Cripple l'exes
de joie qu'il avait peine a contenir; mais force etait de resumer les
evenements dans leur ordre successif et de raconter le debut morose de
cette journee, que tant de bonheur inattendu devait embellir a la fin.
De sorte que, tout en souriant a l'idee des nouvelles supremement
heureuses qu'il tenait en reserve, M. N. Cripple poursuivait une assez
triste narration.
Et voici quel avait ete le debut de son epitre, dont on pourra, par la
meme occasion, lire la suite:
_A Madame Jenny Cripple, au champ de foire de New-Brighton (Mass.ts)_
Ma chere femme,
Malgre la longueur du parcours et cette glaciale pluie d'octobre tombee
toute la nuit, je suis arrive bien portant, ce matin vers l'heure du
dejeuner, au splendide Yankee-Doodle-Hotel. L'ami Pratt avait fait
preparer le repas pour deux dans sa chambre, et m'attendait a table pres
d'un feu flambant.
Je devins muet de saisissement a la joie de le revoir apres une si
longue separation, des pleurs me suffoquaient, la parole s'etranglait
dans ma gorge. Figurez-vous qu'il n'a guere change, bien qu'il depasse
aujourd'hui quelque peu la trentaine. C'est toujours le meme visage:
long, un peu pale, avec le grand front sur lequel se dresse un bouquet
de cheveux crepus; le meme sourire legerement moqueur sur les levres
serrees, les memes yeux noirs qui paraissent voir clair jusqu'au fond de
la conscience des gens. Il me
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