rouillard
qui bientot rejaillirait du plafond. Les employes du cafe se hataient
d'apporter aux tables entourees de consommateurs les plateaux de metal
blanc, les verres et les carafes ou s'agitaient, comme un flot lumineux,
les alcools, gin ou whiskey. Pour comble d'agrement, la jolie dame du
comptoir souriait avec grace au milieu d'un brillant fouillis d'objets
de ruolz et de cristal.
En depit, cependant, de ces motifs de serenite que completait l'exquise
tiedeur de l'atmosphere, l'assistance des clients gardait une attitude
morose, assez etrange, ou semblait poindre le parti-pris de s'enfermer
dans une sorte de melancolie systematique.
Une dizaine de minutes s'etaient ecoulees dans cet etat de torpeur,
lorsque Roboam Truddle, exactement comme les soirs precedents, vint
s'attabler au point central de la buvette, en face du comptoir, bien en
vue de l'assemblee.
* * * * *
L'arrivee de ce personnage parut provoquer parmi la reunion un vague
mouvement de sympathie dont il eut ete difficile a premiere vue de
deviner la cause. L'homme, de stature elancee, etait d'une maigreur
osseuse a laquelle le pantalon noir etroitement serre aux jambes et le
grele habit noir, au collet releve sur la nuque, donnaient un aspect de
misere et de faim. L'oeil, d'une paleur effaree, demeurait fixe sous les
sourcils crispes en triangle; le nez, passablement long, tranchait par
des tons cramoisis sur la teinte blafarde du visage; la bouche etait
largement fendue et le menton decoupait un carre brutal; les cheveux
bruns grisonnants coulaient en meches eplorees le long des joues creuses
et du grand front dont les lourdes saillies et les veines epaissies
rejetaient a l'arriere un chapeau noir singulierement demesure
d'altitude. Dans son aspect general, d'ivrogne de profession, M. Truddle
representait assez bien un individu chez qui s'est invetere depuis
longtemps le dedain de toute vaine ostentation de dandysme ou
d'esthetique personnelle.
Il mit a cote de lui, sur une chaise, un manteau dont il s'etait defait
en entrant, et lorsqu'il se fut assis, dressant son torse etrique
par-dessus la table, il parut haut, sinistre et distrait.
Un employe du bar se hata de placer a sa portee une enorme mesure de
gin, dont il avala coup sur coup plusieurs verres; il exhala quelques
bouffees d'une pipe ebrechee, qui, vraisemblablement, ne quittait jamais
le coin de ses levres, puis il enveloppa la salle entiere d'un reg
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