voyions guere plus loin que l'etroite pelouse bordee d'arbres
qui s'etendait derriere le chateau. Les gemissements s'etaient tus
a nouveau.
"Puisqu'on ne peut pas entendre, continua Rouletabille, on va au
moins essayer de voir..."
Et il m'entraina, en me faisant signe d'etouffer le bruit de mes
pas, au dela de la pelouse jusqu'au tronc pale d'un fort bouleau
dont on apercevait la ligne blanche dans les tenebres. Ce bouleau
s'elevait juste en face de la fenetre qui nous interessait et ses
premieres branches etaient a peu pres a hauteur du premier etage
du chateau. Du haut de ces branches on pouvait certainement voir
ce qui se passait dans la chambre de Mlle Stangerson; et telle
etait bien la pensee de Rouletabille, car, m'ayant ordonne de me
tenir coi, il embrassa le tronc de ses jeunes bras vigoureux et
grimpa. Il se perdit bientot dans les branches, puis il y eut un
grand silence.
La-bas, en face de moi, la fenetre entrouverte etait toujours
eclairee. Je ne vis passer sur cette lueur aucune ombre. L'arbre,
au-dessus de moi, restait silencieux; j'attendais; tout a coup mon
oreille percut, dans l'arbre, ces mots:
"Apres vous! ...
-- Apres vous, je vous en prie!"
On dialoguait, la-haut, au-dessus de ma tete... on se faisait des
politesses, et quelle ne fut pas ma stupefaction de voir
apparaitre, sur la colonne lisse de l'arbre, deux formes humaines
qui bientot toucherent le sol! Rouletabille etait monte la tout
seul et redescendait "deux!"
"Bonjour, monsieur Sainclair!"
C'etait Frederic Larsan... Le policier occupait deja le poste
d'observation quand mon jeune ami croyait y arriver solitaire...
Ni l'un ni l'autre, du reste, ne s'occuperent de mon etonnement.
Je crus comprendre qu'ils avaient assiste du haut de leur
observatoire a une scene pleine de tendresse et de desespoir entre
Mlle Stangerson, etendue dans son lit, et M. Darzac a genoux a son
chevet. Et deja chacun semblait en tirer fort prudemment des
conclusions differentes. Il etait facile de deviner que cette
scene avait produit un gros effet dans l'esprit de Rouletabille,
"en faveur de M. Robert Darzac", cependant que, dans celui de
Larsan, elle n'attestait qu'une parfaite hypocrisie servie par un
art superieur chez le fiance de Mlle Stangerson...
Comme nous arrivions a la grille du parc, Larsan nous arreta:
"Ma canne! s'ecria-t-il...
-- Vous avez oublie votre canne? demanda Rouletabille.
-- Oui, repondit le policier... Je l'ai laiss
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