novembre, je recevais a mon domicile, a Paris, un
telegramme ainsi libelle: "Venez au Glandier, par premier train.
Apportez revolvers. Amities. Rouletabille."
Je vous ai deja dit, je crois, qu'a cette epoque, jeune avocat
stagiaire et a peu pres depourvu de causes, je frequentais le
Palais, plutot pour me familiariser avec mes devoirs
professionnels, que pour defendre la veuve et l'orphelin. Je ne
pouvais donc m'etonner que Rouletabille disposat ainsi de mon
temps; et il savait du reste combien je m'interessais a ses
aventures journalistiques en general et surtout a l'affaire du
Glandier. Je n'avais eu de nouvelles de celle-ci, depuis huit
jours, que par les innombrables racontars des journaux et par
quelques notes tres breves, de Rouletabille dans _L'Epoque._ Ces
notes avaient divulgue le coup de "l'os de mouton" et nous avaient
appris qu'a l'analyse les marques laissees sur l'os de mouton
s'etaient revelees "de sang humain"; il y avait la les traces
fraiches "du sang de Mlle Stangerson"; les traces anciennes
provenaient d'autres crimes pouvant remonter a plusieurs annees...
Vous pensez si l'affaire defrayait la presse du monde entier.
Jamais illustre crime n'avait intrigue davantage les esprits. Il
me semblait bien cependant que l'instruction n'avancait guere;
aussi eusse-je ete tres heureux de l'invitation que me faisait mon
ami de le venir rejoindre au Glandier, si la depeche n'avait
contenu ces mots: "Apportez revolvers."
Voila qui m'intriguait fort. Si Rouletabille me telegraphiait
d'apporter des revolvers, c'est qu'il prevoyait qu'on aurait
l'occasion de s'en servir. Or, je l'avoue sans honte: je ne suis
point un heros. Mais quoi! il s'agissait, ce jour-la, d'un ami
surement dans l'embarras qui m'appelait, sans doute, a son aide;
je n'hesitai guere; et, apres avoir constate que le seul revolver
que je possedais etait bien arme, je me dirigeai vers la gare
d'Orleans. En route, je pensai qu'un revolver ne faisait qu'une
arme et que la depeche de Rouletabille reclamait revolvers au
pluriel; j'entrai chez un armurier et achetai une petite arme
excellente, que je me faisais une joie d'offrir a mon ami.
J'esperais trouver Rouletabille a la gare d'Epinay, mais il n'y
etait point. Cependant un cabriolet m'attendait et je fus bientot
au Glandier. Personne a la grille. Ce n'est que sur le seuil meme
du chateau que j'apercus le jeune homme. Il me saluait d'un geste
amical et me recevait aussitot dans ses bras en me
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