arrivee; j'en envoyai
quand meme une copie sans rien dire. Quinze jours se passerent sans
qu'on accordat la moindre attention a ma demande; pendant ce temps, ma
patience avait singulierement diminue et j'ecrivis une lettre tres
raide. Je proposais un rendez-vous pour le lendemain et j'ajoutai que si
je n'avais pas de reponse, je considererais ce silence du Directeur
comme un acquiescement a ma demande.
--Et de cinq!
--J'arrivai a midi sonnant; on m'indiqua une chaise dans l'antichambre
en me priant d'attendre. J'attendis jusqu'a une heure et demie, puis je
partis, humilie et furieux. Je laissai passer une semaine pour me
calmer. J'ecrivis ensuite et donnai un nouveau rendez-vous pour
l'apres-midi du lendemain.
--Et de six!
--Le Directeur m'ecrivit qu'il acceptait. J'arrivai ponctuellement et
restai assis sur ma chaise jusqu'a deux heures et demie. Ecoeure et
furieux, je sortis de cette antichambre maudite, jurant qu'on ne m'y
reverrait jamais plus. Quant a l'incurie, l'incapacite et l'indifference
pour les interets de l'armee que venait de temoigner le Directeur
General du Departement des Cuirs et chaussures, elles etaient
decidement au-dessus de tout.
--Permettez! Je suis un vieil homme de grande experience et j'ai vu bien
des gens passant pour intelligents qui n'avaient pas assez de bon sens
pour mener a bonne fin une affaire aussi simple que celle dont vous
m'entretenez. Vous n'etes pas pour moi le premier echantillon de ce
type, car j'en ai connu personnellement des millions et des milliards
qui vous ressemblaient. Vous avez perdu trois mois bien inutilement;
l'inventeur les a perdus aussi, et les soldats n'en sont pas plus
avances; total: neuf mois. Eh bien, maintenant je vais vous lire une
anecdote que j'ai ecrite hier soir, et demain dans la journee vous irez
enlever votre affaire chez le Directeur General.
--Je veux bien, mais le connaissez-vous?
--Du tout, ecoutez seulement mon histoire.
II
COMMENT LE RAMONEUR GAGNA L'OREILLE DE L'EMPEREUR
I
L'ete etait venu; les plus robustes etaient harasses par la chaleur
torride; les plus faibles, a bout de souffle, mouraient comme des
mouches. Depuis des semaines, l'armee etait decimee par la dysenterie,
cette plaie du soldat; et personne n'y trouvait un remede. Les medecins
ne savaient plus ou donner de la tete; le succes de leur science et de
leurs medicaments (d'une efficacite douteuse, entre nous), etait dans le
domaine du passe, et
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