s coure plus vite a la montee qu'a la
descente, je pensai que dans les terres lourdes et embroussaillees, il
m'aurait bien vite rattrape.
Il se rapprochait de moi; je me demandais avec angoisse comment je
pourrais l'occuper jusqu'a ce que j'aie rejoint mon fusil laisse au pied
d'un arbre. Mon seau etait presque plein de mures excellentes, bien
meilleures que celles cueillies par mon adversaire. Je posai donc mon
seau par terre, et reculai lentement en fixant mon ours des yeux a la
maniere des dompteurs. Ma tactique reussit.
L'ours se dirigea vers le seau et s'arreta. Fort peu habitue a manger
dans un ustensile de ce genre, il le renversa et fouilla avec son museau
dans cet amas informe de mures, de terre et de feuilles. Certes, il
mangeait plus salement qu'un cochon. D'ailleurs lorsqu'un ours ravage
une pepiniere d'erables a sucre, au printemps, on est toujours sur qu'il
renversera tous les godets a sirops, et gaspillera plus qu'il ne mange.
A ce point de vue, il ne faut pas demander a un ours d'avoir des
manieres elegantes!
Des que mon adversaire eut baisse la tete, je me mis a courir; tout
essouffle, tremblant d'emotion, j'arrivai a ma carabine. Il n'etait que
temps. J'entendais l'ours briser les branches qui le genaient pour me
poursuivre. Exaspere par le stratageme que j'avais employe, il marchait
sur moi avec des yeux furibonds.
Je compris que l'un de nous deux allait passer un mauvais quart d'heure!
La lucidite et la presence d'esprit dans les circonstances pathetiques
de la vie sont faits assez connus pour que je les passe sous silence.
Toutes les idees qui me traverserent le cerveau pendant que l'ours
devalait sur moi auraient eu peine a tenir dans un gros in-octavo. Tout
en chargeant ma carabine, je passai rapidement en revue mon existence
entiere, et je remarquai avec terreur qu'en face de la mort on ne trouve
pas une seule bonne action a son acquit, tandis que les mauvaises
affluent d'une maniere humiliante. Je me rappelai, entre autres fautes,
un abonnement de journal que je n'avais pas paye pendant longtemps,
remettant toujours ma dette d'une annee a l'autre; il m'etait helas!
impossible de reparer mon indelicatesse car l'editeur etait decede et le
journal avait fait faillite.
Et mon ours approchait toujours! Je cherchai a me rememorer toutes les
lectures que j'avais faites sur des histoires d'ours et sur des
rencontres de ce genre, mais je ne trouvai aucun exemple d'homme sauve
par la fuite. J'e
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