e son effroi.
Lorsqu'elle fut un peu reposee et rassuree, elle s'agenouilla
devant Mahmoud-Ben-Ahmed et lui raconta son
[15]histoire en fort bons termes: "J'etais esclave dans le
serail du riche Abu-Becker, et j'ai commis la faute de
remettre a la sultane favorite un selam ou lettre de fleurs
envoyee par un jeune emir de la plus belle mine avec qui
elle entretenait un commerce amoureux. Abu-Becker,
[20]ayant surpris le selam, est entre dans une fureur horrible,
a fait enfermer sa sultane favorite dans un sac de cuir avec
deux chats, l'a fait jeter a l'eau et m'a condamnee a avoir
la tete tranchee. Le Kislar-agassi fut charge de cette
execution; mais, profitant de l'effroi et du desordre qu'avait
[25]cause dans le serail le chatiment terrible inflige a la pauvre
Nourmahal, et trouvant ouverte la trappe de la terrasse,
je me sauvai. Ma fuite fut apercue, et bientot les eunuques
noirs, les zebecs et les Albanais au service de mon
maitre se mirent a ma poursuite. L'un d'eux, Mesrour,
[30]dont j'ai toujours repousse les pretentions, m'a talonne de
si pres avec son damas brandi, qu'il a bien manque de
m'atteindre; une fois meme j'ai senti le fil de son sabre
Page 209
effleurer ma peau, et c'est alors que j'ai pousse ce cri
terrible que vous avez du entendre, car je vous avoue que
j'ai cru que ma derniere heure etait arrivee; mais Dieu
est Dieu et Mahomet est son prophete; l'ange Asrael
[5]n'etait pas encore pret a m'emporter vers le pont d'Alsirat.
Maintenant je n'ai plus d'espoir qu'en vous. Abu-Becker
est puissant, il me fera chercher, et s'il peut me reprendre,
Mesrour aurait cette fois la main plus sure, et son damas
ne se contenterait pas de m'effleurer le cou, dit-elle en
[10]souriant, et en passant la main sur l'imperceptible raie
rose tracee par le sabre du zebec. Acceptez-moi pour
votre esclave, je vous consacrerai une vie que je vous dois.
Vous trouverez toujours mon epaule pour appuyer votre
coude, et ma chevelure pour essuyer la poudre de vos
[15]sandales."
Mahmoud-Ben-Ahmed etait fort compatissant de sa
nature, comme tous les gens qui ont etudie les lettres et
la poesie. Leila, tel etait le nom de l'esclave fugitive,
s'exprimait en termes choisis; elle etait jeune, belle, et
[20]n'eut-elle ete rien de tout cela, l'humanite eut defendu de
la renvoyer. Mahmoud-Ben-Ahmed montra a la jeune
esclave un tapis de Perse, des carreaux de soie dans l'angle
de la chambre, et sur le rebord de l'estrade une peti
|