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-- Je n'aime pas les Anglais.
-- Bon! comme peuple; mais les individus...
-- Eh bien, que lui est-il arrive, a ton ami?
-- Il a ete juge, condamne et execute.
-- Que diable me comptes-tu la?
-- La verite du bon Dieu, mon general.
-- Comment! il a ete juge, condamne et guillotine?
-- Oh! pas tout a fait; juge, condamne, oui; guillotine, non; s'il
avait ete guillotine, il serait encore plus malade qu'il n'est.
-- Voyons, que me rabaches-tu? par quel tribunal a-t-il ete juge
et condamne?
-- Par le tribunal des compagnons de Jehu.
-- Qu'est-ce que c'est que cela, les compagnons de Jehu?
-- Allons! voila que vous avez deja oublie notre ami Morgan,
l'homme masque qui a rapporte au marchand de vin ses deux cents
louis.
-- Non, fit Bonaparte, je ne l'ai pas oublie. Bourrienne, je t'ai
raconte l'audace de ce drole, n'est-ce pas?
-- Oui, general, fit Bourrienne, et je vous ai repondu qu'a votre
place j'aurais voulu savoir qui il etait.
-- Oh! le general le saurait deja s'il m'avait laisse faire:
j'allais lui sauter a la gorge et lui arracher son masque, quand
le general m'a dit de ce ton que vous lui connaissez: _Ami
Roland_!
-- Voyons, reviens a ton Anglais, bavard! fit le general. Ce
Morgan l'a-t-il assassine?
-- Non, pas lui... ce sont ses compagnons.
-- Mais tu parlais tout a l'heure de tribunal, de jugement.
-- Mon general, vous etes toujours le meme, dit Roland avec ce
reste de familiarite prise a l'Ecole militaire: vous voulez
savoir, et vous ne donnez pas le temps de parler.
-- Entre aux Cinq-Cents, et tu parleras tant que tu voudras.
-- Bon! aux Cinq-Cents, j'aurai quatre cent quatre-vingt-dix-neuf
collegues qui auront tout autant envie de parler que moi, et qui
me couperont la parole: j'aime encore mieux etre interrompu par
vous que par un avocat.
-- Parleras-tu?
-- Je ne demande pas mieux. Imaginez-vous, general, qu'il y a pres
de Bourg une chartreuse...
-- La chartreuse de Seillon: je connais cela.
-- Comment! vous connaissez la chartreuse de Seillon? demanda
Roland.
-- Est-ce que le general ne connait pas tout? fit Bourrienne.
-- Voyons, ta chartreuse, est-ce qu'il y a encore des chartreux?
-- Non; il n'y a plus que des fantomes.
-- Aurais-tu, par hasard, une histoire de revenant a me raconter?
-- Et des plus belles.
-- Diable! Bourrienne sait que je les adore. Va.
-- Eh bien, on est venu nous dire chez ma mere qu'il revenait des
fantomes a
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