oire.
-- Que j'affecte!... En verite, general, a vous entendre, il
semblerait que j'eusse interet a ce que la France soit abaissee
aux yeux de l'etranger...
-- Je ne dis pas cela: je dis que je suis venu pour etablir avec
vous la balance de nos victoires et de nos defaites depuis trois
mois, et, comme je suis venu pour cela, que je suis chez vous, que
j'y viens en accuse...
-- Ou en accusateur!
-- En accuse d'abord... je commence.
-- Et, moi, dit Bonaparte visiblement sur les charbons, j'ecoute.
-- Mon ministere date du 30 prairial, du 8 juin, si vous l'aimez
mieux; nous n'aurons jamais de querelle pour les mots.
-- Ce qui veut dire que nous en aurons pour les choses.
Bernadotte continua sans repondre:
-- J'entrai donc, comme je vous le disais, au ministere le 8 juin,
c'est-a-dire quelques jours apres la levee du siege de Saint-Jean
d'Acre.
Bonaparte se mordit les levres.
-- Je n'ai leve le siege de Saint-Jean d'Acre qu'apres avoir ruine
les fortifications, repliqua-t-il.
-- Ce n'est pas ce qu'ecrit Kleber; mais cela ne me regarde
point...
Et, en souriant, il ajouta:
-- C'etait du temps du ministere de Clarke.
Il y eut un instant de silence pendant lequel Bonaparte essaya de
faire baisser les yeux a Bernadotte; mais, voyant qu'il n'y
reussissait pas:
-- Continuez, lui dit-il.
Bernadotte s'inclina et reprit:
-- Jamais ministre de la guerre peut-etre -- et les archives du
ministere sont la pour en faire foi -- jamais ministre de la
guerre ne recut son portefeuille dans des circonstances plus
critiques: la guerre civile a l'interieur, l'etranger a nos
portes, le decouragement dans nos vieilles armees, le denuement le
plus absolu de moyens pour en mettre sur pied de nouvelles; voila
ou j'en etais le 8 juin au soir; mais j'etais deja entre en
fonctions... A partir du 8 juin, une correspondance active,
etablie avec les autorites civiles et militaires, ranimait leur
courage et leurs esperances; mes adresses aux armees -- c'est un
tort peut-etre -- sont celles, non pas d'un ministre a des
soldats, mais d'un camarade a des camarades, de meme que mes
adresses aux administrateurs sont celles d'un citoyen a ses
concitoyens. Je m'adressais au courage de l'armee et au coeur des
Francais, j'obtins tout ce que je demandais: la garde nationale
s'organisa avec un nouveau zele, des legions se formerent sur le
Rhin, sur la Moselle, des bataillons de veterans prirent la place
d'anciens regiments
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