si elle ne s'etait pas
repete les dernieres paroles de la mourante: "Je te vois... oui,
je te vois heureuse"? N'est-il pas vrai que ceux qui vont mourir,
et dont l'ame flotte deja entre la terre et le ciel, savent bien
des choses mysterieuses qui ne se revelent pas aux vivants?
Cette crise, au lieu de l'affaiblir, lui fit du bien, et elle en
sortit le coeur plus fort d'espoir, exalte de confiance,
s'imaginant que la brise, qui de temps en temps passait dans l'air
calme du soir, apportait une caresse de sa mere sur ses joues
mouillees et lui soufflait ses dernieres paroles: "Je te vois
heureuse."
Et pourquoi non? Pourquoi sa mere ne serait-elle pas pres d'elle,
en ce moment penchee sur elle comme son ange gardien?
Alors l'idee lui vint de s'entretenir avec elle et de lui demander
de repeter le pronostic qu'elle lui avait fait a Paris. Mais quel
que fut son etat d'exaltation, elle n'imagina pas qu'elle pouvait
lui parler comme a une vivante, avec nos mots ordinaires, pas plus
qu'elle n'imagina que sa mere pouvait repondre avec ces memes
mots, puisque les ombres ne parlent pas comme les vivants, bien
qu'elles parlent, cela est certain, pour qui sait comprendre leur
mysterieux langage.
Assez longtemps elle resta absorbee dans sa recherche, penchee sur
cet insondable inconnu qui l'attirait en la troublant jusqu'a
l'affoler; puis machinalement ses yeux s'attacherent sur un groupe
de grandes marguerites qui dominaient de leurs larges corolles
blanches l'herbe de la lisiere dans laquelle elle etait couchee,
et alors, se levant vivement, elle alla en cueillir quelques-unes,
qu'elle prit en fermant les yeux pour ne pas les choisir.
Cela fait, elle revint a sa place et s'assit avec un recueillement
grave; puis, d'une main que l'emotion rendait tremblante, elle
commenca a effeuiller une corolle:
"Je reussirai, un peu, beaucoup, tout a fait, pas du tout; je
reussirai, un peu, beaucoup, tout a fait, pas du tout."
Et ainsi de suite, scrupuleusement, jusqu'a ce qu'il ne restat
plus que quelques petales.
Combien? Elle ne voulut pas les compter, car leur chiffre eut dit
la reponse; mais vivement, quoique son coeur fut terriblement
serre, elle les effeuilla:
"Je reussirai... un peu... beaucoup... tout a fait."
En meme temps un souffle tiede lui passa dans les cheveux et sur
les levres: la reponse de sa mere, dans un baiser, le plus tendre
qu'elle lui eut donne.
XIV
Enfin elle se decida a quitter sa place; l
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