a leur patrie, et qu'on charge de chaines pour augmenter nos
richesses. Il est consolant de voir une nation commercante denoncer
elle-meme a son senat assemble ce long outrage fait a l'humanite. Ce
senat souillera sa gloire, s'il ne change pas le sort de tant
d'infortunes. La raison et la justice doivent enfin retablir leurs
droits et briser leurs fers.
L'Amerique fut devastee par ses avides conquerants; ils crurent que
les mines precieuses que le sol leur offroit, suffiroient a leur
ambition; et pour en jouir sans partage, ils porterent avec eux la
destruction et l'effroi. Les habitants de ces contrees nouvelles,
frappes de terreur, s'imaginerent que leurs Dieux memes avoient decide
leur perte. Plusieurs etoufferent leurs races; et ce continent, a
cette epoque, semble etre l'affreux sejour du crime et du malheur. Des
peuples entiers ont disparu, et leurs noms sont oublies. Leur
existence n'est plus attestee que par la solitude de leurs demeures et
l'horreur de leurs tombeaux. Bientot ces mines funestes au bonheur du
monde demanderent des bras mercenaires, et on n'en trouvoit plus. On
acheta des esclaves en Afrique, et on les traina sur les plages de
l'Amerique[3]; ils aggraverent encore le sort des malheureux Indiens.
C'est ainsi que quelques tyrans croyoient avoir le droit de soumettre
la terre entiere a leurs jouissances. Tant de desordres avoient
confondu toutes les idees. Les titres clairs et sacres de la justice,
de la propriete et de la liberte, paroissoient effaces: on ne
connoissoit que les exces de l'ambition et de l'audace. Las-Casas
lui-meme, cet eveque si vertueux au milieu de tant de crimes,
demandoit de nouveaux esclaves; trompe par son coeur, il croyoit
diminuer le travail excessif et meurtrier auquel on condamnoit les
Americains echappes a la mort. Les fiers oppresseurs du nouveau monde
dedaignoient des travaux utiles, et leurs barbares mains ne savoient
donner que des fers.
Le commerce des hommes fut favorise par toutes les nations
commercantes, comme une nouvelle source de richesses publiques. Pres
de six millions d'esclaves Africains peuplent aujourd'hui les champs
de l'Amerique; plus de cent mille infortunes sont enleves chaque annee
a l'Afrique, pour soutenir cette population[4]. Qui osera calculer ce
qu'elle a coute[5]? Pour ravir des esclaves, on a massacre des
millions d'hommes qui defendoient leur liberte. Peignez-vous tous les
liens de la nature brises, tous les sentiments outrages, toute
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