-on oublie qu'il n'y avoit la que des tyrans et des esclaves? Parce
que notre luxe et nos longues erreurs ont appauvri la classe
infortunee qui fait naitre nos subsistances, faut-il que des esclaves
gemissent sous le fouet d'un commandeur cruel? Faut-il, pour le
bonheur public, charger de chaines les mains qui nous nourrissent? N'y
auroit-il sur la terre, pour le pauvre qui la cultive, que des fers ou
la mort?... Quelle triste philosophie que celle qui conduit a de
pareils resultats! C'est ainsi qu'on justifie tout: l'esclavage
devient un devoir: la tyrannie est un droit: la jouissance seule est
un titre. Malheur aux nations qui seroient assez avilies pour laisser
etablir ces maximes cruelles: il n'y auroit plus pour elles que crimes
et desespoir. Proscrivons enfin cette admiration exclusive pour
l'antiquite. Ne rendons hommage qu'aux vertus particulieres eparses
ca et la dans l'histoire, comme des phares brillants sur la vaste
etendue d'une mer sombre et agitee. Qu'importent de grands noms et
leur eclatante renommee, si la vertu et l'humanite gemissoient aupres
d'eux? Ne respectons que les institutions conformes a nos droits;
rappellons les caracteres qui les distinguent, et cherchons ainsi a
reparer les maux que leur violation et leur oubli ont repandus sur la
terre.
La possession libre et exclusive de nous-memes, ou _notre propriete
personnelle_, est notre premier droit; il est inalienable et sacre.
Reduire un homme a la condition d'esclave, est donc, apres le meurtre,
le plus violent des attentats. L'homme aneantiroit tous ses droits en
se rendant esclave. Il n'y a point de vente ou il n'y a pas de
prix[7]. Ainsi l'homme ne peut jamais aliener sa liberte; et s'il ne
peut pas l'aliener, qui est-ce qui pourroit en disposer? On peut
enchainer un criminel; voila le droit de la force publique: mais si le
coupable rompt sa chaine, il n'est plus esclave.
Le nom d'homme repousse celui d'esclave; et les tyrans eux-memes
l'ont bien senti. Quand ils ont avili des infortunes a porter leurs
chaines, ils ne les ont plus comptes que comme des instruments de
culture ou de travail[8]. Les droits les plus sacres, la justice et
l'humanite proscrivent donc l'esclavage. On croit que l'equilibre
politique et le maintien des richesses nationales s'opposent encore a
ce voeu de la raison et de la nature. Si je prouvois que cet equilibre
et le maintien meme des richesses demandent que l'esclavage soit
aboli, et si j'en indiquois les moye
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