des os de mort. Quelques-uns crachent des flammes par les naseaux,
quelques-uns font des tenebres avec leurs ailes, quelques-uns portent
des chapelets de doigts coupes, quelques-uns boivent du venin de serpent
dans le creux de leurs mains; ils ont des tetes de porc, de rhinoceros
ou de crapaud, toutes sortes de figures inspirant le degout ou
la terreur.
ANTOINE
a part:
J'ai endure cela, autrefois!
LE BUDDHA
Puis il m'envoya ses filles--belles, bien fardees, avec des ceintures
d'or, les dents blanches comme le jasmin, les cuisses rondes comme la
trompe de l'elephant. Quelques-unes etendent les bras en baillant, pour
montrer les fossettes de leurs coudes; quelques-unes clignent les yeux,
quelques-unes se mettent a rire, quelques-unes entr'ouvrent leurs
vetements. Il y a des vierges rougissantes, des matrones pleines
d'orgueil, des reines avec une grande suite de bagages et d'esclaves.
ANTOINE
a part:
Ah! lui aussi?
LE BUDDHA
Ayant vaincu le demon, j'ai passe douze ans a me nourrir exclusivement
de parfums;--et comme j'avais acquis les cinq vertus, les cinq facultes,
les dix forces, les dix-huit substances, et penetre dans les quatre
spheres du monde invisible, l'Intelligence fut a moi! Je devins
le Buddha!
Tous les Dieux s'inclinent; ceux qui ont plusieurs tetes les baissent a
la fois.
Il leve dans l'air sa haute main et reprend:
En vue de la delivrance des etres, j'ai fait des centaines de mille de
sacrifices! J'ai donne aux pauvres des robes de soie, des lits, des
chars, des maisons, des tas d'or et des diamants. J'ai donne mes mains
aux manchots, mes jambes aux boiteux, mes prunelles aux aveugles; j'ai
coupe ma tete pour les decapites. Au temps que j'etais roi, j'ai
distribue des provinces; au temps que j'etais brahkmane, je n'ai meprise
personne. Quand j'etais un solitaire, j'ai dit des paroles tendres au
voleur qui m'egorgea. Quand j'etais un tigre, je me suis laisse
mourir de faim.
Et dans cette derniere existence, ayant preche la loi, je n'ai plus rien
a faire. La grande periode est accomplie! Les hommes, les animaux, les
Dieux, les bambous, les oceans, les montagnes, les grains de sable des
Ganges avec les myriades de myriades d'etoiles, tout va mourir;--et,
jusqu'a des naissances nouvelles, une flamme dansera sur les ruines des
mondes detruits!
Alors un vertige prend les Dieux. Ils chancellent, tombent en
convulsions, et vomissent leurs existences. Leurs couronnes eclatent,
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