'avait encore ete. Il sentit augmenter son
attachement pour lui et se promit de ne plus le faire souffrir. Et comme,
en le quittant, il s'inquietait de l'avoir laisse parler avec animation:
"Soyez tranquille, lui dit le marquis. Revenez demain, et vous me trouverez
debout. Ce n'est pas cela qui fatigue, c'est l'absence d'expansion qui
desseche et qui tue."
XX.
LA FORTERESSE DE CROZANT.
Le marquis fut a peu pres gueri en effet le lendemain, et dejeuna avec
Emile. Rien ne vint plus troubler cette amitie singuliere d'un vieillard et
d'un tout jeune homme, et grace aux dernieres affirmations de M. de
Chateaubrun, la douloureuse apprehension de la folie ne vint plus troubler
l'attrait qu'Emile trouvait dans la compagnie de M. de Boisguilbault.
Il s'abstint, ainsi qu'il l'avait promis a Antoine, de jamais parler de
lui, et s'en dedommagea en ouvrant son coeur au marquis sur tous ses autres
secrets; car il lui eut ete impossible de ne pas lui raconter son passe, de
ne pas lui communiquer ses idees pour son avenir, et, par suite, ses
souffrances, un instant assoupies, mais fatalement interminables, que
l'opposition de son pere lui avait suscitees et devait lui apporter encore
a la premiere occasion.
M. de Boisguilbault encouragea Emile dans les projets de respect et de
soumission; mais il s'etonna du soin qu'avait toujours pris M. Cardonnet
d'etouffer les instincts legitimes d'un fils aussi enclin au travail et
aussi heureusement doue.
Le gout et l'intelligence qu'Emile montrait pour l'agriculture lui
paraissaient caracteriser une noble et genereuse vocation, et il se disait
que s'il avait eu le bonheur de posseder un fils tel que lui, il eut pu
utiliser, de son vivant, l'immense fortune qu'il destinait aux pauvres,
mais dont il n'avait pas su faire usage dans le present.
Il ne pouvait s'empecher de dire en soupirant qu'on etait beni du ciel
quand on trouvait dans un fils, dans un ami, dans un autre soi-meme, une
initiative feconde et les moyens de completer serieusement l'oeuvre de sa
destinee.
Enfin, il accusait Cardonnet, au fond de sa pensee, de vouloir consacrer au
mal les forces et les moyens que Dieu lui avait donnes pour l'aider a faire
le bien, et il voyait en lui un tyran aveugle et opiniatre, qui mettait
l'argent au-dessus du bonheur d'autrui et du sien propre, comme si l'homme
etait l'esclave des choses materielles et non le serviteur de la verite
avant tout.
M. de Boisguilbault n'etait
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