pire, il avait administre les
departements par ou il avait successivement passe avec de bonnes
paroles, des sourires, des promesses, des compliments, des poignees de
main et des banquets a toute occasion. Et quand, apres vingt annees de
ce regime, la chute de son gouvernement l'avait mis a bas, il s'etait
trouve un de ces arrondissements ou les maires, les conseillers
municipaux, les cures, les pompiers, les orpheonistes, les fanfaristes,
tous ceux enfin qui l'avaient approche, etant restes ses amis, l'avaient
envoye a la Chambre en dehors de toute opinion politique? Que leur
importait a lui et a eux la politique, il les avait convertis a son
systeme: "Il n'y a pas d'opinion, il n'y a que des interets." A la
Chambre il avait continue ses sourires, ses amabilites, ses bonnes
paroles; bien avec son parti, tres bien avec ses ennemis, ce n'etait pas
lui qui faisait du boucan ou qui se laissait emporter par la passion: la
main toujours tendue; et "mon cher collegue" plein la bouche, meme avec
ceux qui essayaient de le regarder du haut de leur austerite ou de leur
mepris et qu'il finissait par adoucir.
"Mon cher collegue, soyez donc assez aimable pour venir diner avec moi
lundi prochain."
Comment supposer qu'"avec moi" ne voulait pas dire chez moi, alors qu'on
arrivait de province, et que jusqu'au jour bienheureux ou les electeurs
vous avaient envoye a Paris, on avait ete l'honneur du barreau de
Carpentras ou la gloire de la fabrique elbeuvienne? On savait que depuis
longtemps le comte de Cheylus etait ruine, mais puisqu'il donnait de
bons diners, c'est qu'il avait le moyen de les payer. On se disait qu'il
y a ruine et ruine. Et la conclusion qu'on faisait pour les diners, on
la faisait pour la maitresse.
Quelle surprise si un Parisien de Paris avait revele la verite, toute la
verite a ces honnetes convives.
C'etait vingt ans auparavant que le comte de Cheylus avait fait la
connaissance de Raphaelle, alors dans toute sa splendeur, et au
mieux avec le duc de Naurouse, le prince Savine, Poupardin, de la
_Participation Poupardin, Allen et Cie_, le prince de Kappel, en un mot
avec toute la boheme tapageuse de cette epoque; pour lui il n'etait pas
moins brillant, riche, bien en cour, en passe de devenir un personnage
dans l'Etat. Lorsqu'ils s'etaient retrouves, le comte avait dissipe
toute sa fortune et il n'etait plus qu'un simple depute, sans aucune
influence meme dans son parti, ou personne ne le prenait au serieux;
qu
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