affaire m'a ete proposee, j'ai tout de suite demande
l'autorisation au prefet de police... qui tout de suite me l'a refusee.
--Est-il indiscret de vous demander les raisons qu'il vous a donnees
pour expliquer son refus?
--Pas du tout; il m'a dit qu'avec moi pour president, ce cercle
deviendrait en quelques mois un tripot; que j'etais trop faible, trop
indulgent, trop aimable: que je serais trompe, deborde, en un mot tout
ce qu'on peut trouver quand on ne veut pas donner les raisons vraies
d'un refus.
--Et ces raisons vraies?
--Vous les devinez sans peine. On ne voulait pas donner un moyen
d'influence a un adversaire; et, d'autre part, on ne voulait pas se
faire accuser d'accorder a un ennemi une faveur qu'on refusait a des
amis.
--Alors?
--Si vous voulez me prendre dans votre comite, j'accepte. Que vous dire
de plus?
Ce que M. de Cheylus ne voulait pas dire de plus, c'est que, sans etre
jaloux de Frederic,--il n'avait jamais eu la naivete d'etre jaloux,--il
commencait a trouver que le vicomte tenait beaucoup trop de place dans
la maison de Raphaelle, et que le meilleur moyen de se debarrasser de
lui etait de lui faire avoir un cercle ou il passerait ses journees
et... ses nuits.
VI
C'etait un grand point pour Raphaelle et Frederic d'avoir un president
en situation d'obtenir du prefet de police l'autorisation d'ouvrir
leur cercle, mais ce n'etait pas tout: il fallait que la demande qu'on
adresserait au prefet fut signee par vingt membres fondateurs, et il
etait de leur interet de ne pas laisser le choix de ces membres a
Adeline, qui ne saurait ou les chercher, et qui, les trouvat-il, les
choisirait mal. A la verite, il devait avoir la haute direction dans la
composition du cercle, mais, en manoeuvrant adroitement, on lui ferait
prendre, sans qu'il se doutat de rien, ceux-la memes qu'on voudrait
qu'il prit.
Raphaelle voulait des noms chics.
Frederic voulait des noms serieux.
Mais, malgre cette divergence, ils ne se querellaient point la-dessus;
en bons associes qu'ils etaient, ils se faisaient des concessions.
--Melons les noms chics aux noms serieux.
Et constamment ils faisaient cette salade, mais en l'epluchant
severement: on n'etait jamais assez chic pour Frederic, et pour
Raphaelle on n'etait jamais assez serieux,--au moins en theorie, car
dans la pratique, c'est-a-dire au moment ou s'agitait la question de
savoir s'ils pourraient avoir reellement ces noms sur leur liste,
ils etaie
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