phaelle.
--C'etait il y a quelques annees, Raphaelle, qui etait deja une
comedienne de grand talent, donnait une soiree. Le colonel, qui arrivait
d'Amerique, fut conduit chez elle, ou il se rencontra avec un joueur
dont vous avez surement entendu parler: Amenzaga, celebre pour avoir
fait sauter les banques du Rhin.
Quand Amenzaga etait quelque part, on jouait, qu'on en eut ou qu'on n'en
eut pas envie. On joua donc, et en quelques minutes le colonel avait
perdu trois cent mille francs, ou plutot Amenzaga lui avait vole trois
cent mille francs. Naturellement le colonel ne s'etait apercu de rien,
mais un curieux avait vu le tour d'Amenzaga, qui operait au moyen de
portees ou de sequences, c'est-a-dire de cartes preparees a l'avance
et ajoutees au talon. On se jeta sur Amenzaga, on lui dechira ses
vetements, et on lui reprit l'argent qu'il avait vole; enfin un scandale
epouvantable. Depuis ce jour on ne joue plus chez Raphaelle, car, en
femme d'experience, elle sait que partout ou il y a des joueurs il peut
se glisser des filous, si severe qu'on soit sur les invitations. Le soir
ou ce scandale est arrive, elle avait, a l'exception d'Amenzaga, l'elite
du monde parisien, la fine fleur du panier, et cependant... l'histoire
du colonel. Je n'en sais pas de plus instructive et qui prouve mieux
l'urgence qu'il y a a retablir les jeux, ou tout au moins a ouvrir des
cercles dans lesquels les joueurs puissent jouer avec une securite
complete. Si j'etais depute, ce serait une question qui m'occuperait.
--Retablir les jeux! c'est bien grave!
--C'est plus grave encore de les interdire. Je comprends que l'entree
des maisons de jeu ne soit pas libre, et la-dessus je suis d'accord avec
vous. Mais comme le jeu est une passion que la loi ne peut pas plus
supprimer que les autres passions, je voudrais qu'on offrit a ceux qui
en sont affliges d'honnetes lieux de reunion ou ils seraient assures de
n'etre pas voles. C'est une question de moralite, de salubrite publique.
Songez donc que dans les cercles autorises ou toleres la police n'a rien
a voir et ne penetre pas, de sorte que, si les directeurs de ces cercles
ne sont pas honnetes, les joueurs y sont voles comme dans un bois,
sans que personne vienne a leur secours. Or, ces directeurs sont-ils
honnetes?
Le rideau en se levant coupa court a ce discours, qui ne recommenca pas
ce soir-la, car Adeline s'etait laisse prendre a l'interet de la piece,
et il se donnait a elle tout entier, h
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