Navarre?
-- Eh bien? demanda Marguerite avec une feinte naivete. Le duc se
leva precipitamment, fit deux ou trois fois le tour de la chambre
d'un air egare, puis revint prendre la main de Marguerite. Cette
main etait raide et glacee.
-- Adieu, ma soeur, dit-il; vous n'avez pas voulu me comprendre,
ne vous en prenez donc qu'a vous des malheurs qui pourront vous
arriver.
Marguerite palit, mais demeura immobile a sa place. Elle vit
sortir le duc d'Alencon sans faire un signe pour le rappeler; mais
a peine l'avait-elle perdu de vue dans le corridor qu'il revint
sur ses pas.
-- Ecoutez, Marguerite, dit-il, j'ai oublie de vous dire une
chose: c'est que demain, a pareille heure, le roi de Navarre sera
mort.
Marguerite poussa un cri; car cette idee qu'elle etait
l'instrument d'un assassinat lui causait une epouvante qu'elle ne
pouvait surmonter.
-- Et vous n'empecherez pas cette mort? dit-elle; vous ne sauverez
pas votre meilleur et votre plus fidele allie?
-- Depuis hier, mon allie n'est plus le roi de Navarre.
-- Et qui est-ce donc, alors?
-- C'est M. de Guise. En detruisant les huguenots, on a fait M. de
Guise roi des catholiques.
-- Et c'est le fils de Henri II qui reconnait pour son roi un duc
de Lorraine! ...
-- Vous etes dans un mauvais jour, Marguerite, et vous ne
comprenez rien.
-- J'avoue que je cherche en vain a lire dans votre pensee.
-- Ma soeur, vous etes d'aussi bonne maison que madame la
princesse de Porcian, et Guise n'est pas plus immortel que le roi
de Navarre; eh bien, Marguerite, supposez maintenant trois choses,
toutes trois possibles: la premiere, c'est que Monsieur soit elu
roi de Pologne; la seconde, c'est que vous m'aimiez comme je vous
aime; eh bien, je suis roi de France, et vous... et vous... reine
des catholiques.
Marguerite cacha sa tete dans ses mains, eblouie de la profondeur
des vues de cet adolescent que personne a la cour n'osait appeler
une intelligence.
-- Mais, demanda-t-elle apres un moment de silence, vous n'etes
donc pas jaloux de M. le duc de Guise comme vous l'etes du roi de
Navarre?
-- Ce qui est fait est fait, dit le duc d'Alencon d'une voix
sourde; et si j'ai eu a etre jaloux du duc de Guise, eh bien, je
l'ai ete.
-- Il n'y a qu'une seule chose qui puisse empecher ce beau plan de
reussir.
-- Laquelle?
-- C'est que je n'aime plus le duc de Guise.
-- Et qui donc aimez-vous, alors?
-- Personne. Le duc d'Alencon regarda Marguerite
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