voit qu'un peu de fange ou de
gravier pourrait tacher sa fourrure.
Quelques enfants du voisinage venaient jouer avec Camille dans le
jardin. C'etait une chose etrange que la maniere dont elle les
regardait parler. Ces enfants, a peu pres du meme age qu'elle,
essayaient, bien entendu, de repeter des mots estropies par leurs
bonnes, et tachaient, en ouvrant les levres, d'exercer leur intelligence
au moyen d'un bruit qui ne semblait qu'un mouvement a la pauvre fille.
Souvent, pour prouver qu'elle avait compris, elle etendait les mains
vers ses petites compagnes, qui, de leur cote, reculaient effrayees
devant cette autre expression de leur propre pensee.
Madame des Arcis ne quittait pas sa fille. Elle observait avec anxiete
les moindres actions, les moindres signes de vie de Camille. Si elle eut
pu deviner que l'abbe de l'Epee allait bientot venir et apporter la
lumiere dans ce monde de tenebres, quelle n'eut pas ete sa joie! Mais
elle ne pouvait rien et demeurait sans force contre ce mal du hasard,
que le courage et la piete d'un homme allaient detruire. Singuliere
chose qu'un pretre en voie plus qu'une mere, et que l'esprit, qui
discerne, trouve ce qui manque au coeur, qui souffre!
Quand les petites amies de Camille furent en age de recevoir les
premieres instructions d'une gouvernante, la pauvre enfant commenca a
temoigner une tres grande tristesse de ce qu'on n'en faisait pas autant
pour elle que pour les autres. Il y avait chez un voisin une vieille
institutrice anglaise qui faisait epeler a grand'peine un enfant et le
traitait severement. Camille assistait a la lecon, regardait avec
etonnement son petit camarade, suivant des yeux ses efforts, et tachant,
pour ainsi dire, de l'aider; elle pleurait avec lui lorsqu'il etait
gronde.
Les lecons de musique furent pour elle le sujet d'une peine bien plus
vive. Debout pres du piano, elle roidissait et remuait ses petits doigts
en regardant la maitresse de tous ses grands yeux, qui etaient tres
noirs et tres beaux. Elle semblait demander ce qui se faisait la, et
frappait quelquefois sur les touches d'une facon en meme temps douce et
irritee.
L'impression que les etres ou les objets exterieurs produisaient sur les
autres enfants ne paraissait pas la surprendre. Elle observait les
choses et s'en souvenait comme eux. Mais lorsqu'elle les voyait se
montrer du doigt ces memes objets et echanger entre eux ce mouvement des
levres qui lui etait inintelligible, alors recomme
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