us l'insults...
"L'aine s'approcha du malheureux a qui sa presence repugnait deja et
parla vite d'une voix sourde:
"--L'etang qui dort a nos pieds est profond, la foret qui nous entoure
s'ouvre sur le monde. Choisis. La nuit venue, tu verras a travers
les branches une lumiere approcher de ma fenetre. Accomplis alors ta
volonte, quelle qu'elle soit.
"Ayant dit, l'aine remit le fusil sur l'epaule et partit sans regarder
en arriere.
"Et maintenant l'heure grave est venue!..."
Sur ce dernier paragraphe, Andrew avait saisi la lampe d'une main et
s'etait leve tragique, en maniere de poete emporte par son reve, mimant
l'action, vivant les personnages:
"L'aine ne recule pas,--lisait-il;--inflexible, il veut que justice soit
faite, il va vers la fenetre, la lumiere fatale rayonne sur la foret.
Ecoutez..."
Eclaire de profil, Andrew etait d'une paleur de mort; sa voix s'elevait
en eclats desesperes. Le coeur s'etranglait sous les redingotes de MM.
Gibb et Fogg; M. Johann Schelm, entrainement du recit ou terreur de la
realite, s'etait enfin mis debout et un semblant de menace roulait dans
son oeil ahuri.
"Ecoutez!" redit Andrew.
Il y eut un instant d'attente, puis une lueur sillonna la cime des
arbres et une detonation retentit dans le bois.
Andrew lanca un coup d'oeil final au manuscrit et s'agenouilla.
"Un coup de feu! acheva-t-il; le plus jeune n'est plus! L'aine tombe les
mains jointes:
"J'ai cru bien faire, sanglote-t-il, que Dieu me pardonne!..."
L'emotion et l'angoisse de l'auditoire devinrent indescriptibles. Que
dire, que conclure? On regardait avec effarement Andrew prosterne; on
entendit une horloge tintant dix heures, en meme temps qu'une voix
fougueusement acariatre retentissait au bas de l'escalier:
--Ce vacarme finira-t-il? criait le peu accommodant M. Wallholm pere.
En depit des navrantes impressions du moment, on ne songea plus qu'a
fuir la mechante humeur du vieil ours.
--Partez, partez vite! commandait Andrew, redresse comme par un ressort.
Les jeunes Gibb et Fogg degringolerent l'etage et purent a peine
entrevoir une derniere fois les misses Kate et Lizzie, qui repliaient
leurs broderies.
Arrives sur la route, ils remarquerent que M. Johann Schelm les suivait
a quelques pas. Il n'y avait donc plus de doute! Andrew s'etait montre
veridique, une sanglante folie avait ete commise!
Ils marcherent quelque temps suffoques, transis, n'osant desserrer les
dents, l'imagination
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