Je ne
pouvais comprendre alors, mais tu naquis peu apres, tu grandissais, je
t'observais avec une persistance d'abord inconsciente, puis volontaire,
et enfin la verite se reconstruisit entiere dans mon cerveau: La
trahison revivait en toi; elle eclatait dans ta ressemblance exacte,
absolue, ridicule, avec cet homme d'autre race. Ton existence etait une
honte, un crime et une derision! Me comprends-tu maintenant?
"Le plus jeune eut un cri dechirant, il etendit les bras comme s'il eut
voulu se retenir sur le bord d'un abime.
"Puis il se fit un silence tout fremissant entre ces deux freres qui
n'osaient plus lever les yeux l'un vers l'autre..."
Andrew, conformement a son recit, fit une pause durant laquelle MM. Gibb
et Fogg se sentirent plus cruellement embarrasses que jamais. On eut
dit que sur la face somnolente de M. Johann Schelm se dessinait quelque
chose d'incomprehensible, comme un melange de confusion, d'incredulite
et de defi. Andrew, de son cote, se possedait en une sorte de sang-froid
de comedien tout en exhibant une emotion desordonnee. Mystifiait-on
MM. Fogg et Gibb? Et pourtant il s'agissait certainement de la famille
Wallholm et de l'associe, M. Schelm, dans ce qui venait de se debiter.
L'histoire des deux freres etait une suite trop evidente des racontages
circonvoisins. Andrew, sous pretexte de litterature, trahissait-il les
secrets du foyer paternel? Mais comment pouvait-il broder sur de telles
avanies? Comment savait-il ces mysteres; qui donc avait ose les lui
devoiler? MM. Gibb et Fogg s'y perdaient.
Andrew avait, derechef, consulte le feuillet qu'agitait un tremblement
de ses doigts.
"On entendait, poursuivit-il, le bruissement des roseaux sur l'etang et
les lentes trainees du vent dans le feuillage mouille.
"Il fallait en finir, cependant, et l'aine reprit bientot sa resolution
premiere.
"--Faiblesse d'ame, soins de fortune ou aveuglement, que sais-je? mon
pere avait oublie. Mais sans relache, moi, je me suis debattu contre ce
secret qu'il m'etait interdit de reveler, j'ai du supporter cette tache
a mon honneur hereditaire, devorer l'humiliation, refouler des desirs
affoles de vengeance. Le courage de me taire plus longtemps m'a manque.
A ton tour donc de subir cette destinee, de mesurer ce que pese a
la conscience le recel d'un nom vole par l'adultere, l'hypocrisie
d'affections que repousse la voix du sang!...
"--Que faire? interrompait le plus jeune, enfant par les pleurs, homme
so
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