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e ame n'osait souffler. On laissait l'espace libre autour de
nous.
"Desensorcele par la fureur, Ralph s'abattit sur moi et pesa sur mes
epaules; s'il m'avait plu, je l'eusse aplati d'une seule taloche, ce
pierrot bellatre! Mais non, ce n'etait pas ca le plan: je me laissai
faire, et, quand il parut m'avoir ecrase, la foule se jeta sur nous,
puis la police du bal; on nous arracha des bras l'un de l'autre; on me
debarrassa de mon horrible fardeau et on nous traina, Ralph et moi,
chez l'officier de police. Tout le bal et, bientot, toute la plebe
des Sand-Lots nous suivaient en criant: "A mort!" tandis que moi je
gambadais et chantais a perdre haleine, sauf quand, tourne vers Ralph,
je vociferais: "C'est lui! c'est lui."
"Devant le policier, Ralph se demandait dans quel reve atroce il se
debattait; son front terreux suait l'angoisse. Moi, je m'obstinais dans
ma gaite farouche; on ne put m'en tirer; je beuglais, je riais comme
une brute, puis encore, sur l'air d'un spectre qui chante malheur, je
redisais: "C'est lui! c'est lui!" et vers lui je tendais mes mains
tremblantes, mes doigts crispes..."
Le docteur Burns garda quelques secondes l'attitude attribuee au
personnage dont il avait, pendant cet etrange recit, fait revivre de la
voix et du regard l'ironie contenue, la ferocite sombre, l'astuce sans
merci.
L'auditoire, en depit d'un evident parti-pris de scepticisme, se
laissait gagner; les dames, tres attentives, eprouvaient les frissons
d'une terreur grandissante.
Un murmure d'eloges s'eleva pendant l'interruption.
--Tres bien! disait-on. C'est admirable! C'est vu! C'est vecu! Personne
n'imaginerait mieux.
Mais M. Burns, absorbe dans ses propres visions, n'entendait pas ce
ramage flatteur.
--Apres un long silence, reprit-il, l'homme acheva sa confession en me
disant:
"--L'officier de police se comporta precisement selon mes calculs. Il ne
manqua pas de conclure que j'etais en demence, mais il soupconna Ralph
d'etre l'auteur du crime. On l'examina, on le fouilla seance tenante.
"Ah! ah! j'en ris encore. On mit aussitot la main sur les orfevreries de
ma defunte et sur les trois canines dont le trou grimacait sous sa levre
crevee. Voila le cadeau que je lui avais glisse dans la poche, pendant
la lutte, en simulant d'avoir le dessous. Que pouvait-il objecter a de
pareilles preuves!
"On l'interrogea. Son absence du bal avait ete remarquee. Que s'etait-il
passe dans l'intervalle? Avouer qu'il avait fra
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