le, et, d'une
seule morsure de tenaille, je lui arrachai trois dents; elle devint du
coup hideuse, ne riant plus que comme une vieille femme saoule;
j'avais peur; je l'empoignai par le chignon et je sortis. Ce que cela
signifiait? Parbleu! vous allez voir: je suivais l'inspiration; je
jouais le fou, puisqu'elle l'avait dit. Allons, en route!
"Il faisait nuit. J'allai droit au logement de Ralph, un sale grenier de
la Quatre-Vingt-Douzieme Rue. A la lueur d'une chandelle, on voyait sur
la table un pot de pale-ale et une terrine de pommes de terre bleuies
par le froid. Le diner attendait de devenir le souper. La femme etait
assise dans l'ombre, deguenillee, avachie, ruminant, hebetee, le degout
de sa misere et de sa solitude.
--"Regarde!..."
"Elle se redressa et hurla d'epouvante.
--"C'est Ralph qui a fait cela parce qu'elle ne voulait plus etre sa
maitresse. Dis cela devant les juges; faisons-le pendre; nous nous
marierons apres."
"Le demon, je vous affirme, dictait mes paroles et mes actes; je ne
reflechissais plus. Sorti du galetas, je courus au bal ou le quadrille
final commencait. C'etait sous une tente dressee dans le jardin d'un
cabaret. Les gens du bureau d'entree avaient deja plie bagage, et moi,
passe sans obstacle, j'avais pris a pleines dents la tete morte par les
cheveux;--bonne folie, n'est-ce pas?--et sans chercher, comme une bete
qui sent la proie, je tombai juste a la place ou Ralph, le grand maigre,
se demenait jambes et bras, comme un clown. Ce fut une terreur, vous
pensez. Les femmes criaient, les danseurs etaient cloues au sol, les
buveurs et les ivrognes, installes sur les cotes, escaladaient les bancs
et les tables. Ignorant tout cela, l'orchestre, perche dans sa tribune,
faisait rage, joyeux de souffler, de racler, de tambouriner les
dernieres mesures. Ce sabbat semblait fait pour moi; j'en profitai pour
danser a mon tour; je battais du talon et de l'orteil on ne sait quelle
gigue fantasque, la tete toujours accrochee aux dents, elle et moi
regardant fixement Ralph stupide de peur.
--"Lache!" cria-t-il enfin lorsqu'il crut comprendre.
"Mais il demeurait raide, impuissant a faire un pas. J'approchai,
sautillant bien en mesure, jusque sous son nez; je me dehanchais a
pouffer de rire, et je le giflai a droite, a gauche, a gauche, a droite,
et encore, et encore, avec les joues glacees du cadavre.
--"Un dernier baiser, seulement!" avait-elle implore:
"Je comblais la mesure.
"Pas un
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